Publié le 16 mai 2025

Paris au mois de mai

« J’aime Paris au mois de mai », disait une chanson. Une autre affirme l’adorer au mois d’août. Bref, l’été. « The last time I saw Paris ». La dernière fois que j’ai vu Paris, ses jardins fleurissaient de mille couleurs, la météo annonçait une chaleur en hausse et le soleil ne se couchait qu’à dix heures du soir…

Par Randy donny

Image de couverture de Paris au mois de mai

« J’ai deux amours, mon pays et Paris »

Joséphine Baker a trouvé la formule juste. Difficile de ne pas craquer pour Paname. Rien que pour la tour Eiffel, à la beauté discutable certes, et les Champs-Elysées, où « on trouve toujours ce que vous voulez ».

Mais Paris n’est pas que les lumières, ni le « french-cancan » du Moulin rouge. Derrière les immeubles cossus, dans les stations de métro, on retrouve la misère qu’on croyait avoir définitivement rayé de son horizon en quittant le Tiers-monde.

Tout n’est pas rose dans les jardins

Aires de repos appréciés pour leur quiétude, endroits touristiques très courus en raison de leur rôle historique et des monuments artistiques qui s’y trouvent, les parcs et jardins sont indissociables de l’image de Paris. Tout n’est pourtant pas rose avec l’apparition, parfois, d’actes de vandalisme.

« Les amoureux qui s’bécotent sur les bancs publics… ». Le chanteur martiniquais Sam Alpha reçoit un chaleureux applaudissement pour ses interprétations de Georges Brassens. Ce jour-là, « L’association des amis de Brassens » organisait un hommage à l’auteur de la plus célèbre chanson sur ces lieux publics qui font le charme de Paris, « ville des 400 parcs ». L’événement se déroulait d’ailleurs dans un nouveau parc du 15e arrondissement qui porte justement le nom de Georges Brassens.

En fait, il y a plus que quatre cent parcs dans Paris. Selon la Direction des parcs, jardins et espaces verts de la Mairie de Paris, il y en a exactement 430. La majorité des parcs et jardins de Paris relève de la Mairie. Certains, comme le jardin du Palais royal, les Tuileries et le Carrousel ou encore le Jardin des plantes, dépendent du ministère de la culture par le biais du Museum d’histoire naturelle. D’autres ont une gestion particulière, tel le parc de la Villette. Avant les grandes transformations opérées par Haussmann, les Parisiens pouvaient se promener, entre autres, dans le jardin du Luxembourg ou admirer les 9000 rosiers, 200 variétés de pommiers et 150 poiriers du jardin de Bagatelle. Les grands travaux d’Haussmann auront donné naissance, parmi tant d’autres, au bois de Vincennes, au parc des Buttes-Chaumont et au bois de Boulogne dont la réputation est malheureusement ternie par les activités d’une faune nocturne qui y fait florès…

Ici, il ne faut pas oublier de mentionner les cimetières, il en existe 20, qui renaissent à la vie par la fréquentation croissante des visiteurs à la poursuite des « Fleurs du mal » de Baudelaire dont les restes reposent à Montparnasse, des nostalgiques de la « Rose d’Egypte » qu’était Dalida, inhumée à Montmartre, ou à la recherche du violon d’Ingres, enterré au Père Lachaise…

La terre est ronde

Entre 1977 et 1998, 140 hectares ont été aménagés à Paris pour créer 50 nouveaux parcs. Ils font partie d’une nouvelle génération de parcs dite « moderne », symbolisée par le parc André Citroën ou encore la Promenade plantée, étalée sur les quatre kilomètres d’un viaduc autrefois occupé par un réseau de chemins de fer reliant la Bastille et le bois de Vincennes. Le dernier-né est le square Visconti, dans le 6e arrondissement.

Un parc de plus à gérer pour la Direction des parcs, jardins et espaces vert qui dispose d’un bataillon de 4000 agents dont 2609 « hommes de terrain », essentiellement des jardiniers et des bûcherons. Sans oublier les 736 surveillants. C’est que les parcs ne sont pas épargnés par les problèmes d’insécurité. Bien que le bureau « Surveillants jardinage » se tienne à un « droit de réserve » sur la question, une indiscrétion émanant de la Direction des parcs, jardins et espaces verts nous a permis de savoir que les jardins sont parfois le théâtre d’actes de vandalisme comme la destruction des plantes bandes, voire des agressions physiques. « Cela n’arrive pas souvent, mais parfois malheureusement, nous sommes obligés de constater les faits. Les jardins, c’est comme les rues. Les 18e et 19e arrondissements sont plus touchés par le phénomène »

« Lé dé doudou bék an bék an lé ban foyal… » Sam Alpha continue sa prestation avec des adaptations en créoles des chansons de Georges Brassens, sous le regard approbateur de l’ancien Premier ministre Edouard Balladur. « Je suis venu car j’aime cet endroit. Et puis, je suis député de l’arrondissement », nous déclare-t-il. Il ne fera pas de discours mais sa présence est la preuve que les parcs sont également une agora incontournable pour tâter les pouls de la cité. Faire des rencontres. « Vous êtes Malgaches ? », s’exclame Sam Alpha après sa prestation. « J’étais auparavant dans l’administration et j’ai travaillé à Madagascar dans les années 60 ». La terre est ronde. Les parcs sont là pour le rappeler.

Le blues de Papy

« J’étais copains à Luther Allison. J’ai chanté également avec Claude Nougaro. C’est pourquoi mes amis m’appellent Papy Blues ». Ensembles jean’s et vieux santiag’s usés par la route, Papy Blues est ce soir avec ses amis à la station de métro du Châtelet-les-Halles, leur quartier général. Clochard, Papy Blues gagne son pain quotidien en chantant a capella, pour les voyageurs du métro, « Lucille » de Claude Nougaro avec une voix éraillée par les litres de gros rouge.

Le Bureau d’information et de prévision économiques (Bife) estime à 202 000 le nombre de personnes « exclues du logement » dans toute la France. Ce sont les SDF dont la durée de vie moyenne est de quarante-quatre ans. Dans la seule ville de Paris, la Mairie en ramasse 60 à 80 dans la rue, morts d’épuisement, d’overdose de drogue ou d’alcool ou de froid en hiver. Bref, de misère. Une misère d’autant plus insoutenable qu’à côté s’affiche une insolente prospérité. Aux malheureux qui ont perdu la bataille de la vie, la municipalité a construit 1800 caveaux à décomposition rapides à Thiais. En béton, équipées d’un système d’introduction d’air et d’évacuation, les corps s’y dessèchent vite par l’apport d’oxygène. Sur les tombes, pas de plaques ni fleurs.

Papy Blues a déjà un pied dans la tombe. Quoique personne ne sache son âge, les rides qui creusent son visage sont expressives. On ne saura jamais non plus si son histoire est vraie. S’il a vraiment côtoyé les stars avant de sombrer dans le bas-fond de la misère. Dans l’univers perdu des oubliés de la prospérité, s’inventer un mythe est un moyen pour attirer l’attention sur soi, pour signifier qu’on existe. Même si c’est du vent. D’ailleurs, en nous voyant dubitatif, Papy Blues s’emporte et s’éloigne en titubant, un bout de clope sur les lèvres. Paris ne peut pas être le paradis tant qu’il y a le métro en dessous.

Paru dans « L’Express de Madagascar » du 10 juillet 2001