Transition : un dilemme cornélien

L’Histoire retiendra que Andry Rajoelina était le président malgache le plus nul depuis l’Indépendance. Son incompétence, camouflé par un prix de leadership acheté à coup de milliers d’euros, a été profité par une bande de rapaces toute contente de se faire de l’argent sur son dos. Le printemps Gen Z a secoué l’oranger. D’où la débandade pour ne pas rester le dernier à subir la foudre d’une population longtemps méprisée. Mais que faire de ce pouvoir ? Tout le monde est dans l’expectative... 

Image de couverture de Transition : un dilemme cornélien
Les pierres jetées par les manifestants deviendront-elles la pierre angulaire de la Refondation ?

Après le coup d’État de 2009, le coup d’éclat de 2025

Encore une fois, le contingent militaire du Capsat (Corps d'Administration des Personnels et des Services de l'Armée de Terre) se pose en solution d’une crise politique. Après le coup d’État de 2009, le coup d’éclat de 2025. Le samedi 11 octobre, le Capsat décide de mettre le holà en se rangeant du côté du peuple après deux semaines d’intenses affrontements entre la Gen Z et les Forces de Défense et de Sécurité. Néanmoins, dans une interview à la presse étrangère le lendemain, son chef, le colonel Michaël Randrianirina, rejette toute ambition politique en déclarant que “c’est au peuple de décider de l’avenir”.

En fait, il n’y a pas 36 solutions, il y en a que deux : respecter la Constitution ou pas.

Respecter la Constitution

Comme le président de la République joue aux abonnés absents depuis le 11 octobre, peut-on encore respecter la Constitution ? Bien évidemment que oui. Car selon l’article 52 de la Constitution de 2010, par suite “d'abandon du pouvoir sous quelque forme que ce soit” du Président de la République, les fonctions du chef de l'État sont exercées par le Président du Sénat. Or, le Bureau permanent du Sénat a destitué – ou plutôt désamorcé, son président, le bien-nommé Général Bombe. Il a fait une passation de service avec Ndremanjary Jean André, mais c’était surtout pour dire qu’il existe encore et qu’il n’a pas fui. Un président par intérim ne peut exercer un pouvoir aussi important. Quoique cet ancien Baron de l’Arema peut séduire l’Opposition, où se trouve son frère, Paraina Auguste.  Sinon, à défaut donc, les fonctions de chef de l'État peuvent être exercées collégialement par le Gouvernement, selon encore la Constitution.

Il importe donc de former un nouveau gouvernement avec ou sans le Premier ministre nommé récemment par le futur ex-président Andry Rajoelina. Non, ne parlez pas de l’article 54 car dans le cas d’espèce, il y a un vide dont la nature a horreur et que la HCC se fera un plaisir (et surtout l’obligation) de combler. Elle saura trouver les mots, genre pacte de responsabilité. Que n’a-t-elle pas fait depuis 2002 ?  Les “Vu la Constitution” ont des vertus d’apaisement vis-à-vis des bailleurs de fonds. Des visas pour la suite.

C’est ce gouvernement qui sera chargé d’organiser les futures élections, avec ou sans la Ceni qui, jusqu’ici, n’était indépendante que de nom. Confectionner également une nouvelle loi électorale qui sera adoptée par ordonnance. Il n’y a pas trop de risque car les membres de ce gouvernement de Transition de facto ne peuvent pas se porter candidat aux futures élections.

Le renouvellement du Sénat sera repoussé sine die. Ses membres suspendus en attendant. Il en est de même de l’élection du futur Président de la République.

Et l’Assemblée ? Le Gouvernement qui exerce collégialement le pouvoir ne peut le dissoudre. Mais qui parle de dissolution ? Les députés vont démissionner collectivement. Dans l’intérêt supérieur de la Nation. On va même l’aider un peu dans ce sens. C’est la future assemblée qui sera chargée de réviser, d’amender ou tout simplement de changer la Constitution. Bonjour la Vè République...  Un conseil : prévoir un intervalle entre deux mandats pour le président de la République.  

C’est vrai que dans ce scénario, une continuité pour mieux rompre avec le passé, on va souvent solliciter la HCC. Ce qui est un peu embêtant vu l’impopularité de ses membres actuels. Mais il est fort à parier qu’elle gardera queue basse pour défendre son bifteck. Réflexe pavlovien des apparatchiks des pays en développement. Autrement, on aidera ses membres à trouver le chemin de Dubaï.

Quid de l’extra-constitutionnalité ?

Sortir de la Constitution et fâcher les bailleurs de fonds. C’est depuis toujours l’épouvantail que l’on sort à chaque changement de régime. En fait, il y a une nuance. Tout dépend du contexte. Et de celui qui négocie avec les Partenaires techniques et financiers (PTF).

Off the record. L’entretien était confidentiel, mais j’estime qu’il est déjà frappé d’une date de péremption. C’était au restaurant Ville Vanille, Antanimena, avec l’ancien ambassadeur de l’Union Européenne, Leonidas Tezapsidis. Dès décembre 2008, le robinet des financements était fermé car Marc Ravalomanana confondait sa poche avec les comptes de l’État. En juillet 2009 donc, l’Union européenne était prête à l’ouvrir à l’occasion de la première venue d’une délégation de la Transition en Europe, dirigée par Norbert Lala Ratsirahonana. “On s’attendait à ce que la délégation nous présente une Feuille de route pour sortir de la crise. Au lieu de cela, elle a énoncé une litanie de Vu la Constitution, ce qui s’est passé à Madagascar n’est pas un coup d’Etat. Mais ce n’était plus le sujet !”. Résultat : le robinet demeurera fermé et la Sadc est appelé à la rescousse. Quels clowns !

Un autre off the record. Toujours avec une émissaire de l’Union européenne, en mai 2023, en marge d’une réception. On parlait alors de la possibilité d’une Transition.  “Une transition, oui, mais avec qui ?”, a-t-elle confié. Autrement dit, les PTF ne sont pas systématiquement contre une solution qui sort des sentiers balisés par la Constitution. Mais c’est à ce moment aussi que j’ai compris pourquoi le régime Rajoelina insistait tant pour la chasser de Madagascar. D’autant plus qu’elle a déclaré que cela faisait un moment que l’Europe a suspendu les aides budgétaires.

En ce moment, on s’achemine déjà doucement vers une sortie de route. Les nominations du chef de l’état-major et du chef de la Gendarmerie sortent déjà du cadre législatif, non ?  Mais alors, on va mettre quoi en place ? Une Directoire militaire qui rime avec dictature ? Un Conseil des Sages, autrement dit de ceux qui étaient toujours là, genre : on prend les même et on recommence, alors que le leitmotiv est un renouvellement de la classe politique ? On ne peut faire du neuf avec du vieux. On ne peut faire une refondation, réformes et tout ce que vous voulez, avec les tenants des anciens régimes qui se sont succédé et qui nous ont fait tourner en rond comme des bourriques. Sinon, dans dix ans, la génération Alpha sera encore obligée de se soulever. A moins que l’on fasse appel aux bons offices de la FFKM. Depuis au moins 1991, le conseil qui n’est œcuménique que de nom, nous a présenté différents messies qui ont annoncé la prochaine libération, mais qui - à chaque fois, n’étaient jamais pas foutus de libérer Madagascar du joug de la pauvreté. Quoi qu’il en soit, le principe de la laïcité de l’Etat, dont Madagascar - pays républicain et démocrate, est baptisé veut que l’église ne s’occupe pas des affaires de l’État et l’État ne s’occupe pas des affaires de l’église.

Bref, tout cela n’est pas facile. La Gen Z n’a qu’à bien s’accrocher car elle risque d’être noyée dans la masse des dinosaures qui sont déjà en train d’arriver massivement sur la scène du 13 mai.  

En tout cas, constitutionnelle ou pas, la Transition n'est qu'une parenthèse au cours de laquelle on aura à réécrire les règles du jeu démocratique afin de faire table rase du passé, notamment les crises cycliques que l'Indépendance nous habitue depuis 65 ans ! Mettre sur table des projets pour durer et non seulement pour accaparer la commande de l’après crise. Ce n'est pas aux vieux briscards de la politique que l’on peut faire confiance sur ce point. Et surtout, ne jamais oublier : la forme républicaine de l'État, le principe de l'intégrité du territoire national, le principe de la séparation des pouvoirs, le principe d'autonomie des collectivités territoriales décentralisées, la durée et le nombre du mandat du Président de la République, ne peuvent faire l'objet de révision.

Légende : Parish – “Ampy Eky Izay”, un tube inspiré de la manif Gen Z.