Les accaparements de terres sont des crimes contre l’humanité

Le 19 décembre 2019, mon cher confrère Jeannot Ramambazafy, Gen Z à sa manière (bah, génération Zoky) réclamait la libération de 9 détenus dans une affaire de spoliation foncière. Il s’agit d’un terrain de 500 hectares. Depuis septembre 2016, les accaparements de terres sont considérés par la Cour Pénale Internationale (CPI) comme des crimes contre l’humanité. Nous avons aussi effectué un reportage à Ampefy en 2021. Paysans emprisonnés à perpétuité, EPP clôturé, paysans expulsés... En ce moment de doléances tous azimuts, il n’est pas inutile de revenir sur le sujet. 

Image de couverture de Les accaparements de terres sont des crimes contre l’humanité
L'EPP du village se trouve clôturé sur le terrain objet du litige.

Ampefy-Ankorondrano : Prison à perpétuité pour des paysans suite à un litige foncier

En cet après-midi de fin de semaine, les rues paraissent calmes à Ankorondrano (Ampefy), un des 566 fokontany de la Région d'Itasy, à environ 100 kilomètres d’Antananarivo, sur la RN1. Les rues de ce fokontany ont pourtant connu des houles et ont été le territoire d’affrontements particulièrement spectaculaires suite à un litige foncier. Retour sur un drame.

Entassés dans une petite pièce, mal éclairée, à l’abri des regards et des passants, quatre riverains acceptent de revenir sur le passé. Un notable de la localité et trois acteurs des affrontements territoriaux d’Ankorondrano ont choisi de donner des détails sur ce qui s’est passé il y a quelques années. Leurs noms sont tus car ils craignent encore de ce qui pourrait leur arriver si leurs identités sont révélées.

Historiquement, Itasy est une région qui a vu l'installation de plusieurs colons qui se sont accaparés des terrains. Ils les ont régularisés et en sont devenus légalement les propriétaires. Plus tard, lorsque ces derniers quittent Ampefy, les terrains ont été exploités par les villageois au niveau du fokontany d'Ankorondrano, mais sans les papiers règlementaires, donc ni titrés, ni bornés. C'est ainsi que lorsque les derniers exploitants légaux d'un terrain de 172 ha font faillite dans les années 1976, ils ont hypothéqué le terrain à la banque BTM. Cette dernière a voulu procéder à la vente du terrain, par parcelles en 1978, mais la vente n’a pas abouti et la communauté villageoise a repris l’exploitation du terrain. Pendant plus de vingt ans, les paysans ont occupé et travaillé la terre sans être inquiétés. En 2000 pourtant, un opérateur économique déclare être le nouveau propriétaire légal dudit terrain et a ainsi commencé à clôturer le domaine. Suite aux contestations du fokonolona, l’affaire a été transférée au niveau de la justice où l'opérateur économique a eu gain de cause. Mais les habitants d’Ankorondrano se sont opposés à cette décision. Après moults réunions avec l'opérateur économique, un compromis a été trouvé : 17 ha revenaient à ce dernier et les 155 ha devaient revenir aux villageois. Un rapport écrit a été rédigé, mais à la fin des discussions, l'opérateur économique refuse de signer le document. Depuis lors, se sentant dans ses droits, il a commencé à clôturer le terrain et à poser les premières pierres de ce qui deviendra plus tard un des prestigieux établissements hôteliers d'Ampefy.

82 maisons ont été rasées et en 2006, près de 400 foyers ont été expulsés du terrain. Certaines personnes auraient perçu de l’argent en compensation, mais sans preuves. La population est alors sortie de ses gonds et a élevé la voix face à ce qu’elle considère comme une totale injustice. Les contestations populaires atteignent leurs pics en août 2006.

Selon le maire d'Analavory (à g.), l'une des principales sources de litiges fonciers est que les gens vont rarement au delà de la légalisation des signatures des actes de vente. "La légalisation des actes de vente reste au niveau des Communes et n'engage que les protagonistes. Il faut au moins enregistrer les ventes de terrain auprès du service de la Fiscalité pour éviter des ennuis", a-t-il déclaré.

Le 7 août 2006, le tocsin de l’église du village, destiné à alerter la population en cas d'expulsion, a été retenu par les gendarmes pendant trois jours. Le 11 août, alors que les forces de l’ordre sont venues arrêter huit individus, considérés comme étant les meneurs du mouvement de contestation, de violents heurts ont éclaté. Les villageois, à coups de jets de pierres et autres projectiles, ont tenté de faire face aux forces de l’ordre, lourdement armées. Dans cette échauffourée, une jeune villageoise, mère de trois enfants est tombée sous les balles des gendarmes. Deux éléments dans les rangs des forces ont également perdu la vie. Roués de coups par les villageois, leurs corps ont été laissés dans les champs et n’ont pu être récupérés que dans l’après-midi, lorsque les affrontements se sont arrêtés. Plusieurs blessés, dont certaines grièvement, sont enregistrés aussi bien du côté des villageois que celui des forces de l’ordre. Suite à ces évènements, 93 personnes ont comparu devant le Tribunal de Première Instance de Miarinarivo. Trois personnes purgent encore une peine d’emprisonnement à perpétuité et six ont écopé de 12 ans d’incarcération.

Quinze ans après, les habitants du hameau d’Ankorondrano reviennent sur les faits avec beaucoup de ferveur. Les blessures suites à ces conflits sont encore vivaces. Aujourd’hui, les familles touchées par les expropriations peinent à trouver de quoi survivre. Après les heurts de 2006, elles ont perdu maisons, terres, produits agricoles, ainsi que les animaux d’élevage (volailles, bovidés, …). Ils subviennent difficilement à leurs besoins.

« Après avoir purgé ma peine de prison, je suis revenu au village. Avant les évènements, mon enfant fréquentait une école privée catholique, mais à mon retour, nous avons dû le changer d’établissement pour une autre école privée moins chère. Mais je n’arrive toujours pas à honorer les frais de scolarité. Aussi, mon enfant est souvent expulsé de l'école », témoigne un des interlocuteurs dont nous tairons le nom par crainte de représailles.

A Ankorondrano (Ampefy), on se serre les coudes pour s’en sortir. Dans certains cas, quatre à cinq familles vivent sous le même toit. Les denrées alimentaires sont partagées avec les voisins. Un des faits que les habitants déplorent particulièrement est que l’École Primaire Publique du village se trouve clôturée sur le terrain objet du litige. Près de 800 enfants y sont scolarisés, mais l’accès au site est difficile.

A ce jour, les expulsions continuent, bien qu’il n’y ait plus d’affrontements violents. Ce qui fait que les tensions ne se sont pas apaisées dans le fokontany. Les villageois gardent encore espoir que les 155 hectares de terrains inscrits sur le plan de partage leur soient rendus.

Source : Anja Ralaiarijaona, “Demokrasia”, le magazine du HCDDED, n°10, février à juillet 2021, pp. 16-17. 

 

“Point de droit, Ny Zoko”, dans Viva du 12 mars 2019 avec l’animateur Soava Andriamarotafika, actuellement Rapporteur de la CENI. Émission spéciale spoliation foncière de 569 hectares à Ampefy.