Derrière un self-made man se cache des mains invisibles
Maminiaina Ravatomanga est né en 1968 à Morondava. De son enfance, on n’a aucune littérature. De ses études également, sinon qu’il aurait atteint tout au moins la classe de Terminales. Professionnellement, il a débuté comme démarcheur chez Somadito. Par la suite, il devient garagiste. Mais ses affaires se sont surtout développées en 1995, lorsque l’entreprise Sodiat, du nom de son garage, remporte le marché de transports d’hydrocarbures par camions-citernes depuis Toamasina.
On le présente comme un self-made man. Mais derrière un grand homme se cache toujours des mains invisibles. Il y aurait Holijaona Raboanarijaona, biberonné aux affaires, qui aurait mis Mamy Ravatomanga aux étriers avant d’être filouté par celui-là même qu’il a aidé. On n’en saura pas plus parce que Holijaona Raboana serait encore très affecté par cet épisode et ne veut plus en parler. Ou n’ose pas en parler. Car devenu milliardaire, Mamy Ravatomanga devient vite un homme craint.
Mais il y a aussi Christian Ntsay. Avant d’être Premier ministre, il a été le directeur général de la compagnie pétrolière Solima, de 1993 à 1997. Ce qui coïncide avec la privatisation de la Solima et la libéralisation du marché des produits pétroliers à Madagascar, autorisant l’accès de sociétés nationales et internationales dans le secteur pétrolier. C’est à cette époque que Sodiat rafle le marché de transports d’hydrocarbures par camions-citernes. Suivez mon regard.
Plus tard, en juin 2018, en pleine crise politique, Christian Ntsay est nommé, ou plutôt imposé, Premier ministre par le président chancelant Hery Rajaonarimampiaina. Ce dernier était lui-même Commissaire aux comptes du groupe Sodiat, avant de devenir ministre des Finances sous la Transition, en 2009. Tout cela sur proposition de Mamy Ravatomanga, bien entendu. Retours d’ascenseur. Ou plutôt les ascenseurs se croisent car Hery Rajaonarimampiaina était à la fin de son seul et unique mandat de Président de la République alors que Christian Ntsay débute sa carrière de quasi-inamovibilité à la Primature. Vous suivez ?
Sinon, un article paru le 17 avril 2019 dans le journal en ligne Médiapart évoque la naissance de Sodiat Petro, sous le régime Zafy Albert, comme partant d’un accord entre Betiana Bruno, Tovonanahary Rabetsitonta et un certain Commandant Dominique. Ils ne pouvaient pas figurer officiellement dans la société en raison de leurs positions respectives au risque d’être taxés de délits d’initiés. Le premier était ministre de l’Energie et des mines, le second ministre des Finances et le troisième porte-serviette du président Zafy Albert et beau-frère de Christian Ntsay, le DG de la Solima comme on l’a déjà dit en haut. On aurait donc tout mis au nom de Mamy Ravatomanga qui en devient le gérant statutaire et actionnaire majoritaire. Tout ce beau monde aurait facilité les contrats et le déblocage du fonds dit Subsaharien qui servit à financer le projet.
En passant, c’est ce même fonds de la Banque mondiale qui a permis à Marc Ravalomanana de faire décoller Tiko, Herizo Razafimahaleo de créer Stedic et permis à Edgar Razafindravahy de passer de collecteur de riz à industriel dans l’agro-alimentaire. C’était l’époque du virage à 90° du régime Ratsiraka vers le libéralisme après la révolution socialiste à la con. On cherchait alors des jeunes businessmen à forts potentiels qui peuvent devenir des tycoons afin de doper l’économie.
Pour revenir à notre jeune garagiste devenu transporteur, il aurait décider de garder tout pour lui, laissant les autres sur la paille, selon encore l’article de Médiapart, lequel a disparu du site depuis, mais disponible ici.
En tout cas, en 30 années d’existence, Sodiat est devenu une entreprise tentaculaire, un holding de 11 sociétés opérant dans différents secteurs d'activités :
- Santé : la Polyclinique d’Ilafy, maintes fois pointées du doigt pour ses surfacturations des interventions prises en charge par l’État. En tout cas, la Polyclinique est l’une des principales bénéficiaires du fonds Covid.
Entre le 3 mars et le 13 août 2020, pas moins de 200 factures étaient dressés au profit de la Polyclinique d’Ilafy, selon une liste publiée sur le site web du ministère de l’Économie et des finances. Certaines factures représentent 50 millions ar alors qu’il est n’est pas possible de savoir si toutes les prestations relèvent de la pandémie.
Toujours dans le domaine sanitaire, le groupe Sodiat comprend aussi le MAM Assistance avec un service d’aide médicale d’urgence et de réanimation, ainsi que le rapatriement sanitaire.
-Médias : l’entreprise SMC Presse S.A., au capital de 50 millions ar, fondé avec l’appui technique de Rolly Mercia, futur ministre de la Communication, et Maka Alphonse, futur président du Comité Fampihavanana Malagasy. SMC Presse publie les quotidiens “Inona ny Vaovao” et “La Vérité” ; Ino Vaovao.Com publie le journal provincial “Ino Vaovao” et l’hebdomadaire “Madagascar Matin”, mais il y a également la télévision M3TV-FM (Majunga) et la station radio Feon’Itasy (Miarinarivo), toutes deux créées en 1999. - Tourisme : Cap Mada Voyages, agence de voyages et tour opérateur réceptif, complémentaire avec les autres sociétés du groupe, notamment les établissements hôteliers Azura, la concession automobile Auto Diffusion qui représente les marques Toyota, Lexus et Foton, mais également la compagnie aérienne Trans Ocean Airways (TOA) pour la location d’avions privés.
C’est un avion de la TOA qui a accueilli Carlos Ghosn en Turquie, non pas en touriste, mais lorsque l’ancien patron de Renault s’évada du Japon, caché dans une malle. Mamy Ravatomanga assure qu’il n’est pas au courant de toutes les utilisations que l’on fait de ses avions. - Construction : Madagascar Maintenance Pétrolière-BTP (MMP-BTP), créée en 2002, pour des constructions de bâtiments ainsi que des travaux en stations services ou dépôts pétroliers. Dans ce secteur, MMP-BTP est particulièrement actif sur les marchés publics.
- Transport et transit : Sodiatrans, opérant dans tous les segments du transport : maritime, routier et aérien, opérant dans trois centres de transit situés à Antananarivo, Toamasina et Mahajanga. Il est en complémentarité avec Lam Distribution qui dispose d'entrepôts sur les trois sites sus cités.
Le groupe Sodiat a également des intérêts dans l’agriculture et l’import-export. En 2024, le groupe Sodiat élargit son parc immobilier en prenant “en main la totalité de toutes les propriétés” du lieu-dit Espace Conquête qui appartenait à Somacodis. Enfin, Mamy Ravatomanga en personne fut Président du conseil d’administration de la Jirama, la société nationale d’eau et d’électricité. Ce qui a suscité des accusations de contrats abusifs, voire de détournements de fonds.
La fortune de Mamy Ravatomanga augmente exponentiellement avec l’expansion de ses entreprises. Dès 2017, le magazine Forbes le classe parmi les 10 hommes les plus riches de Madagascar. Actuellement, le même magazine estime sa fortune à 250 millions $. Un autre site l’estime plutôt à 350 millions $ et met Mamy Ravatomanga à la 5ème place des hommes les plus riches du pays derrière Andry Rajoelina (1er avec 900 millions à 1 milliards $), Ylias Akbaraly de Sipromad (850 millions $), Hassanein Hiridjee de Axian (500 millions $) et Marc Ravalomanana (400 millions $).
Que fait-il de tout cet argent dans un pays où 80% de la population vit sous le seuil de la pauvreté avec moins de 2,15 US$ par jour, selon la Banque Mondiale ? Mamy Ravatomanga fait un peu d’humanitaire par ci, avec la fondation Sodiat, des actions sociales par là, avec l’association AFF que dirige sa femme. Mais une partie irait manifestement à l’étranger.
En 2016, Mamy Ravatomanga et son clan est cité dans Panama Papers qui détaille le mécanisme d’évasion fiscale de 214.000 sociétés dans le monde avec les noms de leurs actionnaires. Mamy Ravatomanga y est cité comme l’actionnaire d’une société-écran appelée Essential Time Group Ltd dont le siège est la Villa Ramy, à Mandrosoa-Ivato. En fait c’est plus compliqué que cela car il existe une toile de société-écran assez impressionnante comme le montre ce graphique issu du site de l’ICIJ, le consortium international de journalistes d’investigation, à l’origine de la révélation du Panama Papers.
Cela dit, figurer sur la liste du Panama Papers n’est pas la preuve d’une culpabilité quelconque. Pour ne pas accabler Mamy Ravatomanga donc, disons que la reine Elisabeth II et le footballeur Michel Platini figurent également dans Panama Papers. Comme le disait Mamy Ravatomanga lui-même : “Certains pays offrent des avantages fiscaux pour attirer des investisseurs étrangers. Toutes les sociétés offshores ne sont pas forcément illégales ». Il est comme ça, Mamy Ravatomanga. Il possède cet art d’éluder une question embarrassante par une pirouette. On lui reproche de verrouiller l’exportation de litchi ? « Il n’y a pas de monopole dans la filière litchi à Madagascar, puisqu’il y a plusieurs dizaines d’entreprises qui exportent du litchi au sein du Groupement des Exportateurs de Litchis (GEL)”, répond-il tout simplement. Il est l’un des signataires de l’octroi des licences aux exportateurs.
Quel est le volume des fonds transférés par Mamy Ravatomanga dans ces sociétés offshores ? On ne le saura jamais, mais on peut en avoir un aperçu lors des investigations autour de sa fuite précipité vers l’île Maurice. Dès son arrivée sur l’île sœur, la Commission contre les crimes financiers (FCC) a ouvert une enquête pour blanchiment d’argent à la suite de plusieurs plaintes de ressortissants malgaches à Maurice. Selon le FCC, des renseignements crédibles indiquent que Mamy Ravatomanga aurait transféré une forte somme d’argent à Maurice, avec l’intention de déplacer ces fonds vers un autre pays. Les médias locaux parlent de 6 milliards de roupies (soit 180 millions USD) répartis dans quatre banques mauriciennes. Le site Mondafrique parle de 640 millions de dollars !
Tous ses avoirs à Maurice sont actuellement gelés, mais il n’est pas exclu que Mamy Ravatomanga sorte de ce pétrin blanc comme nègre pour insuffisance de preuves. D’autant plus que son fidèle ami Edgard Razafindravahy, actuellement Secrétaire Général de la Commission de l’Océan Indien (COI), avec résidence à Maurice, ne le laissera certainement pas tomber, comme il l’a fait lorsqu’il était ministre de l’Industrie, du commerce et de la consommation pour la filière litchi et vanille.
Ce ne sera pas alors la première fois que Mamy Ravatomanga échappe à une accusation. En 2016, il a attiré l’attention du Parquet national financier (PNF) en achetant quatre biens immobiliers en France pour une valeur de 4,5 millions d’euros : un pavillon à Saint-Maur-des-Fossés, dans le Val-de-Marne, et trois appartements à Levallois-Perret, en périphérie parisienne, dans le fief du sulfureux couple Balkany, également cité dans Panama Papers. Très vite, on a parlé de blanchiment d’argent, de biens mal acquis, de trafic de bois de rose... L’affaire sera finalement classée sans suite par le PNF pour cause d'"infraction insuffisamment caractérisée", en 2023.
Son secret ? On lui prête des relations avec les grands de ce monde, tel Emmanuel Macron. Mythe ou légende ? Il n’est pas exclu, en tout cas, qu’il ait des relations avec Vladimir Poutine en tant que consul de Serbie, lequel est le pion avancé de la Russie en Europe. Il a une double immunité diplomatique car il est également le Consul de la Côte d’Ivoire depuis 2023. Mieux, il a acquis la nationalité ivoirienne par l’entremise de la femme d’Alassane Ouattara.
En fait, comme dans les affaires, ce n’est pas si simple que ça. Le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), encore lui, révèle que Mamy Ravatomanga a rencontré Evgueni Prigojine, le patron de Wagner, le 17 août 2023, pour discuter de l’organisation de la sécurité personnelle d’Andry Rajoelina en prévision des élections présidentielles. Selon l’enregistrement de la réunion, il était convenu d’envoyer au moins 300 combattants du Groupe Wagner à Madagascar pour environ 15.000 dollars par mois pour chaque combattant, soit 4,5 millions de dollars par mois. On ignore la suite de l’accord car le chef de Wagner, de retour en Russie, est décédé une semaine après la rencontre après avoir tenté d’organiser une mutinerie militaire contre les dirigeants russes.
Ce qui est bizarre est que moins d’un an auparavant, on a prêté au groupe Wagner de vouloir attenter à la vie de Mamy Ravatomanga. En effet, en novembre 2022, les douaniers réunionnais ont mis la main sur des armes de guerre, dont deux lance-roquettes anti-chars et plusieurs munitions, cachées dans un engin de chantier en partance pour Madagascar. A l’époque, Wagner a un pied à Madagascar en achetant le Kraoma Mining S.A. par le biais de Ferrum Mining. Le bulldozer qui transportait les armes en question était d’ailleurs acheté sous le nom de Simon Seva Mboiny, le boss de Kraoma Mining S.A., selon le journal de l’île de la Réunion (JIR). Déçu par le maigre profit du chrome malgache, Prigojine voulait étendre ses affaires dans l’or avec son poulain de l’époque. Mais ce dernier a échoué aux présidentielles de 2018. Avec des journalistes du New York Times, la journaliste Gaëlle Borgia, excellente du reste, a fait un documentaire sur le sujet qui a reçu le prestigieux prix Pulitzer, considéré comme le prix Nobel du journalisme. Prigojine voulait alors s’en prendre à Mamy Ravatomanga, celui qui murmurait à l’oreille de Andry Rajoelina et qui le finance pour les prochaines présidentielles de 2023. A moins qu’il ne veuille se présenter lui-même, comme l’affirme différents sites africains. Le complot tombe à l’eau et Seva Mboiny meurt brutalement « à la russe », à 67 ans, emportant avec lui le secret des armes saisies à la Réunion.
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Mamy Ravatomanga a la baraka. Mais il lui arrive aussi d’enlever le baraka des gens qu’il considère comme nocifs à ses entreprises. A commencer par le « tangalamena » Patrick Zakariasy qui a repris les “ampamoaka” de Zafy Albert, mais qui a atterri en prison. Le lanceur d’alerte à l’origine de la dénonciation de la mauvaise gouvernance dans la filière litchi est arrêté peu après la sortie de l’article pour des faits de dénonciation calomnieuse. Harry Laurent Rahajason a.k.a Rolly Mercia, son ancien directeur de publication qu’il propulse ministre de la Communication sous la Transition de Andry Rajoelina, en 2011, puis sous le régime Rajaonarimampianina, en 2017, condamné à trente mois de prison pour faux témoignage et propagation de fausses nouvelles dans l’affaire PNF...
“Ceux qui ont osé s'opposer à Mamy Ravatomanga en ont souvent payé le prix fort", observe auprès de l'AFP Frédéric Lesné, ex-directeur de Transparency International Initiative Madagascar (TI-MG). La seule évocation de son nom suffit à faire trembler le mur du Palais de Justice.
Mamy Ravatomanga a les bars longs. Il se considère lui-même comme le shadow cabinet de Andry Rajoelina. Effectivement, la nomination des hauts dirigeants semble porter ses empreintes. Pour ne citer que le haut du panier : Hery Rajaonarimampianina, Christian Ntsay, vraisemblablement aussi le Premier ministre et DJ Nina Zafisambo qui n’est autre que le directeur de cabinet militaire de Ntsay. Enfin, on prête au Premier ministre nouvellement nommé, Herintsoa Rajaonarivelo, d’être son bras droit. En tout cas, ce dernier figurerait parmi les actionnaires de Madarail dont Mamy Ravatomanga était autrefois détenteur de 75% du capital. Certains y croient durs comme un chemin de fer : l’histoire continue sur le même rail où, dans sa fuite, Mamy Ravatomanga sème des cailloux pour retrouver le chemin du retour...