Crimée et Ile éparses : deux salles, deux ambiances

Alaska. Ah, les lascars ! Vendredi 15 août 2025, un guignol et un histrion vont discuter de l’avenir d’un clown. Mais il n’y a pas matière à rire. Les décisions qu’ils vont prendre risquent de devenir jurisprudence avec effet tsunami qui risque de toucher Madagascar. Le choix de l’Alaska n’est pas anodin. En 1867, les Etats-Unis ont acheté à la Russie ce territoire que cette dernière considérait alors juste comme une immensité glacée pour 7,2 millions de dollars, soit - estimation haute, 190 millions de dollars actuels. Une bouchée de pain. De quoi acheter seulement 19 missiles hypersoniques Kinzhal ou une trentaine de chars T-90M contre l’Ukraine. Actuellement, l’Alaska assure 17% de la production américaine de pétrole. Vladimir Poutine laissera-t-il encore la Russie se faire gruger ? 

Image de couverture de Crimée et Ile éparses : deux salles, deux ambiances
Les frontières de l’Ukraine après la Seconde Guerre Mondiale. ©Géraldine Froger/Iaroslav Lebedynsky.

L’histoire est un éternel recommencement. Il y avait la Conférence de Berlin, de novembre 1884 à février 1885, qui a établi les règles de la colonisation de l'Afrique par les puissances européennes. Mais sans la présence des pays africains.

Puis, il y eut la Conférence de Yalta en Crimée, du 4 au 11 février 1945, qui a réuni les dirigeants de l'Union soviétique (Joseph Staline), des États-Unis (Franklin D. Roosevelt) et du Royaume-Uni (Winston Churchill). Une conférence perçue comme un partage du monde entre les États-Unis et l'URSS. Sans la France et le reste du monde.

Actuellement, vendredi 15 août 2025, il y aura la rencontre entre Donald Trump et Vladimir Poutine pour décider de l’avenir de l’Ukraine. Mais sans Volodymyr Zelensky. Du moins, au moment où nous achevons ce texte pour publication.

Bref, depuis plus d’un siècle, c’est la loi de la jungle, celle du plus fort. Où l’on constate que l’Ukraine, aussi européen qu’il est, n’est juste qu’un vulgaire pays du Tiers Monde. Née pendant la Guerre Froide, inspirée du “tiers état” de la Révolution française et popularisée par l’économiste français Alfred Sauvy en 1952, l’expression Tiers Monde est aujourd’hui considérée comme dépassée. Pourtant, il n’y a pas d’autre terme pour qualifier le statut de l’Ukraine, un pays juste bon pour une balkanisation, sinon cannibalisation, en plein XXIè siècle par les deux grandes puissances nucléaires.

L'Ukraine est officiellement déclarée un pays indépendant le 24 août 1991 après l’effondrement de l’Union Soviétique. Ce sont les dirigeants soviétiques eux-mêmes qui ont tracé la dernière version du tracé de ses frontières.

Les explications d’Iaroslav Lebedynsky, historien franco-ukrainien, lors d’une conférence organisée par la Bibliothèque nationale de France et l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales INALCO, en 22 mai 2023 :  “les frontières de l’Ukraine apparaissent, au moment de l’indépendance, comme doublement légitimes. D’une part, aucun État ne les conteste officiellement ; d’autre part, elles sont en quelque sorte validées par les résultats du référendum d’indépendance du 1er décembre 1991 : le “oui” l’emporte dans toutes les régions du pays, y compris les plus russifiées à l’est (83%), y compris en Crimée (54%)”.  

Ceci n’a pas empêché Vladimir Poutine d’annexer le Crimée en 2014 avant de déclarer tout simplement la guerre à l’Ukraine le 24 février 2022 et d’annexer quatre régions ukrainiennes, Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijia, sans toutefois en contrôler complètement aucune.

Le sujet n’est pas de se poser en avocat de l’Ukraine. Il est plutôt de dénoncer l’attitude des grandes nations qui ne cessent de fouler au pied les grands principes de l'ONU et des traités internationaux.

Au XIXè siècle, Madagascar était un pays indépendant reconnu par les principales puissances avec qui le Royaume de Madagascar a contracté des traités de paix et de commerce (Royaume-Uni, Allemagne, Etats-Unis...). Ce qui n’a pas empêché la France de coloniser la Grande Ile avec l’aval du perfide Albion. On peut avancer qu’au temps des Ranavalona, l’ONU n’existait pas encore, certes. Mais la pratique n’a pas changé, même après 1945.

Les “petits” pays demeurent respectueux de la parole donnée. Ainsi, même si la Pologne demeure nostalgique de la perte en 1954 des “Confins Orientaux” et notamment de la ville de Lviv, et même si l’histoire de la Hongrie se souvient toujours des territoires abandonnés en 1920 et de nouveau en 1945, dont la Transcarpathie, cela n’a jamais connu une traduction belliqueuse. Au contraire, le traité ukraino-polonais de mai 1992 garantit l’inviolabilité des frontières des deux États. La Roumanie abandonne, par le traité ukraino-roumain du 2 juin 1997, ses revendications sur ‘île des Serpents au large des bouches du Danube. La délimitation des eaux territoriales sera d’ailleurs effectuée par la Cour internationale de justice de La Haye le 2 février 2009.

Par contre, la Russie, dès 1992, fait voter par son parlement une décision invalidant le transfert de la Crimée effectuée par Nikita Krouchtchev à l’Ukraine en 1954. Puis, le 9 juillet 1993, il adopte une résolution affirmant que Sébastopol est une ville russe. Enfin, Vladimir Poutine, arrivé au pouvoir depuis 1999, admet l’existence de l’Ukraine mais affirme que ses territoires orientaux et méridionaux sont “russes”, en raison de l’existence dans certaines régions ukrainiennes de minorités russes et d’une proportion élevée de russophones, ainsi que des droits historiques sur des territoires conquis par l’empire russe où se trouvent les villes d’Odessa, Kherson, Sébastopol, Marioupol, qui ont été crées par la Russie.

Si chaque pays fait recours à l’histoire pour justifier un quelconque droit sur un autre, on ne s’en sortira jamais. Sinon, Madagascar peut aussi se prévaloir de posséder l’île Comores de Mohéli dont le Malgache Ramanetaka devint roi à partir de 1832 sous le nom d’Abderahmane. Il en est de même du département français de Mayotte dont le sultan était le Malgache Andriantsoly à partir de 1832 également. Aux Comores, comme à Mayotte, il existe des descendants de Malgaches qui demeurent farouchement malgachophones.

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Ceci dit, depuis 2022, l’ambassadeur de la Fédération de Russie, Andrey Andreev, ne cesse de rappeler le soutien de la Russie pour la restitution des îles éparses à Madagascar. Ce, afin de fermer le clapet à la France qui ne cesse aussi de dénoncer la restitution de la Crimée à l’Ukraine. C’est de bonne guerre, mais ne dédouane pas la Russie. “Mitovy fa tsy sahala”, comme on dit de ce côté-ci du Canal de Mozambique. Pareil, mais pas semblable.  

Le décret français de 1960, qui a séparé "arbitrairement" les Iles éparses de Madagascar, est frappé en 1979 d’une résolution des Nations Unies qui "invite le Gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le Gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles précitées ". C’est donc l’Onu elle-même qui confirme l’illégalité de la souveraineté française sur ces îles, lesquels font partie à part entière des territoires malgaches.  

La Crimée, elle aussi, fait partie intégralement des territoires ukrainiens. C’est écrit noir sur blanc dans le Mémorandum de Budapest du 5 décembre 1994 dont la Russie est signataire. En effet, 1991, après l’éclatement de l’URSS, l’Ukraine se retrouve être la troisième puissance nucléaire au monde avec 1900 ogives stratégiques. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie ont alors persuadé Kiev de remettre les armes à Moscou. En échange, l’Ukraine a exigé des garanties sur sa souveraineté et son intégrité territoriale. Ce que la Russie a accepté, signé et emballé. 

Parmi les principaux engagements des signataires du Mémorandum de Budapest envers l’Ukraine figure la possibilité d’une action du Conseil de Sécurité de l’INU si l’Ukraine est victime d’agression nucléaire ou d’une menace de ce type.

“Aza afangaro ny akoho sy ny vorona”, dit-on encore en bon malgache. Ne pas confondre gallinacés et palmipèdes. Félonie et parjure. Il faut rendre à Madagascar ce qui est à Madagascar et à l’Ukraine ce qui à l’Ukraine.  

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En Alaska, l’équation ne sera pas simple. La Russie ne peut “désannexer” les territoires qu’elle prétend siennes. L’Ukraine de son côté, ne peut envisager des concessions territoriales, surtout si Volodymyr Zelensky sera absent des tractations. D’autant plus que cela encouragerait la Russie, ou d’autres, à émettre de nouvelles revendications.

La solution est à chercher sur le terrain économique. Parce qu’en fait, l’histoire et la culture ne sont que des prétextes. La vraie raison de ce “lebensraum”, comme dirait le moustachu, est dictée par des motifs économiques. Les régions convoitées par Moscou regorgent de ressources minières considérables. Volodymyr Zelensky l’a bien compris en faisant miroiter le partage des richesses du sous-sol de l’Ukraine à Donald Trump.

Ainsi, faisant fi de l’épisode de l’humiliation dans le Bureau ovale, il accepte de signer un partenariat économique, le 30 avril, dans le but d’« augmenter les investissements dans ­l’exploitation minière, l’énergie et les technologies » des Etats-Unis. Autrement-dit, un accès privilégié au sous-sol ukrainien. En échange, Volodymyr Zelensky espère que Donald Trump arrive à contraindre Vladimir Poutine de lâcher les bons morceaux du territoire ukrainien. Sinon, le Cerbère du monde n’aura que les os à manger. 

La carte des ressources stratégiques de l’Ukraine avec les gisements de terres rares qui se trouvent dans les territoires conquis par la Russie.