Publié le 2 mars 2025

Un sexe sur mesure pour L’Ex…

L’Ex. C’est ainsi que la rédaction appelle « L’Express de Madagascar » où j’ai passé mes sept premières années de journaliste professionnel. A l’occasion de ses 30 ans, je ressors un article que j’ai écrit pour la postérité, en 1997, sur Rafilokana, un site traditionnel qui gagnerait à être touristique. Pour effectuer ce reportage, j’ai fait une heure à pied à l’aller et une autre heure pour le retour. Mais je crois savoir qu’on peut le rallier maintenant en voiture. Dossier. 

Par Randy donny

Image de couverture de Un sexe sur mesure pour L’Ex…

Alakamisy-ambohimaha
Un sexe sur mesure ?! Le culte phallique de Rafilokana y pourvoit

Unique au monde, la cérémonie phallique de Rafilokana se pratique en secret depuis des générations dans le Betsileo profond, quelque part dans la région d’Alakamisy-Ambohimaha. Plus qu’une simple curiosité, elle se présente comme une illustration vivante de l’importance sociale et multidimensionnelle de la sexualité.

Qui est Rafilokana ?

Personnage légendaire du betsileo, Rafilokana vivait à une époque dont on ne sait la date exacte. Aucune fouille n’a été effectuée sur son tombeau, toujours visible jusqu’à maintenant. Même ses descendants ne possèdent aucun repère historique, la transmission de sa mémoire s’étant effectuée oralement.

D’après les sources orales toutefois, on sait que Rafilokana n’est pas son vrai nom mais un pseudonyme attribué par ses contemporains en raison du caractère du personnage.

Grand joueur, il sortait toujours vainqueur de ses paris en raison d’une intelligence manifestement au-dessus de celle de ses contemporains. D’autre part, son statut d’ombiasy (guérisseur et non sorcier) lui aurait permis d’avoir une vision particulièrement en avance sur son temps. C’est ainsi qu’il était en contact permanent avec la nature à une époque où la superstition mettait encore une barrière entre les Hommes et son environnement. Il en tira force et prééminence vis-à-vis de ses semblables.

Il a alors réussi à amasser une fortune considérable et à approfondir ses connaissances en matière de guérison par les plantes. Mais Rafilokana était aussi et surtout réputé par ses prouesses sexuelles. A un de ses adversaires, il aurait même lancé le pari de séduire n’importe quelle femme de son désir, y compris la femme de son vis-à-vis. Ce qui se réalisa effectivement. Aux curieux, il répondait que son secret réside dans la passion qu’il provoque lors des relations amoureuses.

Avant de mourir, voulant léguer un bienfait aux générations futures, il a fait ériger deux stèles mâle et femelle dédiées à la sexualité à côté de son tombeau personnel avec ce message ultime : tous ceux qui auront des problèmes sexuels trouveront solution rien qu’en invoquant son nom devant ces stèles. Il s’agit essentiellement des problèmes liés à la taille et à la forme du sexe. Jusqu’à maintenant, le message garde toute sa puissance.

Le déroulement de la cérémonie

Le site de Rafilokana se trouve à quelque 7 km à l’ouest d’alakamisy-Ambohimaha. Après avoir parcouru une route secondaire particulièrement chaotique qui serpente à travers les montagnes de Vohibasiana on arrive à Ankatikana un des 12 hameaux composant le fokontany d’Analamasina, ainsi baptisé d’après la forêt sacrée qui a recouvert autrefois la région.

Le site est composé de deux stèles distantes d’environ 30 mètres. La première stèle est destinée aux femmes (« vatovavy ») et la deuxième aux hommes (« vatolahy »). Le tombeau de Rafilokana se trouve à quelques mètres de cette dernière.

En fait, il y a longtemps que l’on a délaissé la cérémonie pour les femmes. « Par honte », selon les natifs. La stèle qui y correspond, en forme de sexe féminin, est ainsi actuellement laissée à l’abandon.

Seule est donc encore pratiquée la cérémonie phallique. Elle consiste essentiellement en un changement de la taille et de la dimension du sexe de ceux qui s’estiment insatisfaits des leurs.

La cérémonie n’a pas de prêtre particulier. N’importe quel descendant mâle de Rafilokana peut la diriger. Pour cela, l’intéressé doit apporter :

  • Une maquette (sculptée ou pas) représentant son idéal en taille et en dimension.
  • Du rhum local (« toaka gasy »), inséparable de toute cérémonie traditionnelle.
  • Un coq rouge. Celui-ci sera cuit sur place, l’odeur de cuisson étant censée masquer celle de l’Homme considérée comme impure. ON peut manger le poulet cuit mais après avoir soigneusement enlevé les parts de Dieu (« Zanahary ») lesquelles seront étalées sur des feuilles de fougères suivant un rite propre aux cérémonies traditionnelles betsileo. Parfois, des passants prennent ces parts pour les manger. D’où l’expression « ambony apanga » pour désigner quelque chose que l’on s’est approprié sans se fatiguer.
  • Du suif pour masser la verge de l’intéressé
  • De l’argent, à la fois pour rendre grâce à Rafilokana et en guise d’honoraire pour ses descendant qui ont officié pendant la cérémonie. La somme varie suivant la grosseur de la maquette.

Le tout s’effectue sur des airs d’incantations, d’abord de Zanahary qui a créé l’Homme et ensuite de Rafilokana qui a promis le miracle.

A la fin de la cérémonie, l’intéressé doit porter la maquette devant son sexe et la frotter 6 fois de haut en bas contre la stèle tout en clamant l’objet de sa venue. La transformation doit normalement se produire dès la première relation sexuelle, au plus tard dans les quatre mois qui suivent. Remarque : il est toujours possible de refaire l’opération si l’on a quelque peu forcé sur la taille. Il faut alors amener un nouveau gabarit.

Autrefois, les maquettes s’amoncelaient jusqu’à la moitié de la stèle. Mais les feux de brousse, qui ont atteint le site, en ont réduit le surnombre.
© Aïñå Mīrådõ Tsīferånå Andrîäñä, 2023.

Quid des résultats ?

Les résultats de la transformation étant de nature intime, il n’est pas aisé d’obtenir des témoignages d’autant plus que les intéressés se rendent aux cérémonies dans la plus grande discrétion. Nous avons donc renoncé à publier les témoignages recueillis sur place.
En fait, il existe une mesure fiable pour apprécier le succès des Operations : le retour des intéressés sur les lieux afin d’apporter un remerciement (« voady ») à Rafilokana, comme il est de tradition pour toute cérémonie traditionnelle où l’on a obtenu satisfaction. Ce système permet aux descendants de Rafilokana d’affirmer que jusqu’à présent, aucune « bavure » n’a été enregistrée aussi bien pour les Malgaches dont certains viennent de très loin (Diégo-Suarez, Majunga, Tuléar, Fort Dauphin…) que pour les vazaha qui sont de plus en plus nombreux à faire appel aux vertus de la stèle.

Comment est-ce possible ?

Les questions se bousculent dans la tête après une visite au site de Rafilokana. La principale est de savoir le comment et le pourquoi de la possibilité de réalisation des transformations. Surtout quand on sait que celles-ci sont loin d’être une chimère.

Le pasteur Ny Valiha Randrianambo est le spécialiste de Rafilokana pour l’avoir observée depuis des années. Pour lui, il ne faut pas parler tout de suite d’acte diabolique. Il s’en explique : « Rafilokana tire certainement son secret de ses connaissances en tant qu’ombiasy », c’est-à-dire un guérisseur et non un sorcier. Je suis même tenté de dire qu’il y a une part de science là-dedans. En effet, de par son statut, il est en contact permanent avec la nature. Contrairement à la masse du peuple de l’époque qui mettait une distance entre elle et la nature considérée comme source de malheurs car mystérieuse… En tout cas, il est hâtif d’attribuer le phénomène au diable qui, souvent, s’approprié des exploits qu’il n’a même pas faits (…) Personnellement, je crois que pour combattre l’obscurantisme et mettre fin aux superstitions, il faut supprimer la barrière que l’on met souvent entre l’Homme et la nature. Il faut réconcilier l’Homme avec la nature selon la théologie de la création qui a envoyé Adam et Eve au champ d’Eden ».

Freud à la rescousse
Rafilokana, une psychanalyse avant les psychanalystes ?

Parler de sexe à travers l’évocation de la cérémonie phallique de Rafilokana peut paraître insensé. Le sujet étant généralement considéré comme tabou, surtout dans une société déjà pénétrée par la morale judéo-chrétienne comme la nôtre.

Mais le sexe peut signifier autre chose que ce que l’on doit entendre de ce mot. Le sexe ne se définit pas uniquement par l’usage. Souvent, il peut avoir des significations symboliques, comme sur les aloalo, Par-là, on peut prendre le sujet comme un prétexte pour aborder la problématique de la sexualité à travers l’histoire de Madagascar, dans une société où certes le terme générique « sexe » n’a pas d’équivalent comme également les mots « vierge » ou « fidélité »…

On sait depuis Freud que la sexualité détermine la psychologie profonde de chaque individu et est à l’origine des névroses. En effet, l’existence humaine est caractérisée par une tension entre des pulsions instinctuelles presque toujours d’origine sexuelle et des contre-pulsions d’origine sociale. D’où le rêve qui est une tentative pour réduire le conflit, pour exprimer des pulsions instinctives refoulées. Sinon les pulsions instinctuelles se déplacent de leurs objets propres par le mécanisme de la « sublimation » dans lequel le besoin instinctuel trouve satisfaction dans un objet qui n’est plus sexuel mais appartient à un ordre social ou moral plus élevé : les expressions de la création esthétique. L’art, pour être plus simple. Sans cet exutoire peut survenir la folie.

De tout ceci, il ressort qu’avoir une sexualité équilibrée et normale (« être en paix avec son sexe ») aiderait beaucoup l’individu dans sa vie quotidienne et chemin faisant la société qui n’est autre que la somme des individus. Rafilokana l’aurait-il instinctivement saisi en inventant une forme de thérapie psychanalytique de masse avant les psychanalystes ?

"L'Express de Madagascar" du jeudi 11 décembre 1997, pp. 08

Archives personnelles de tous les journaux où j’ai travaillé.