Publié le 12 octobre 2024

En regardant par la fenêtre d'Overton…

Eto am-baravarankely aho no mitazana… isan’andro ity fisaraham-bazana. Ambondrona vs artiste de la coast, Taombaovao lohataona des 21 (?) foko vs Merina… Les déclarations à la con propres à mettre à mal l’union nationale ne cessent de se multiplier ces derniers temps. La fenêtre d’Overton s’ouvre ainsi de plus en plus. Késako ? J’en ai parlé dans un post sur Facebook le 15 avril 2023. Attention, bruits de cocottes !

Par Randy donny

Image de couverture de En regardant par la fenêtre d'Overton…

Et si les propos de Jocelyne Maxime, député d’Antsiranana et non moins vice-présidente de l’Assemblée nationale ne relèvent pas du dérapage ? « Ce n’est pas quelqu’un qui vient du Sud qui va emmerder, nous les gens du Nord », a-t-elle déclaré en riposte au « péril jaune » de Siteny Randrianasoloniaiko, potentiel candidat aux futures présidentielles et qui a le vent en poupe avec son Mihava tour. « Dans sa tête, il s’agit d’une opinion politique et non du tribalisme », rapporte un post qui relaie un soi-disant excuse de la part de l’intéressée. Pour une excuse, c’est plutôt léger. Tout simplement parce que ce que ce qu’elle a fait s’inscrit dans une stratégie : celle du populisme pour l’accaparement du pouvoir. Ici, le but est d’aller toujours plus loin dans la provocation et la surenchère pour garder le pouvoir. Et si, par ailleurs, elle n’est pas la seule à adopter cette attitude ? Des informations font état d’une déclaration de Siteny qui aurait dit : « ce ne sont pas les Tananariviens qui cultivent la vanille » !
Son niveau de culture ne permet vraisemblablement pas à Jocelyne Maxime de le savoir, mais ce discours, exagéré avec des propos chocs, est une illustration du concept de la fenêtre d’Overton.

Qu’est-ce que la fenêtre d’Overton ?

Baptisée du nom de Jospeh P. Overton (1960-2023) du think tank Makinac Center for Public Policy, la fenêtre d’Overton recouvre les méthodes de manipulation mentale visant à formater l'opinion publique pour la rendre réceptive puis docile à certaines idées que l’on peut qualifier jusqu’ici d’extrêmes. Cette technique rhétorique permet de changer radicalement les opinions des gens, sans qu’ils réalisent le moins du monde qu’ils ont été habilement et complètement manipulés.
Overton décrit une carte des idées du « plus libre » au « moins libre », représentée sur un axe vertical. Comme la fenêtre change de taille ou se déplace, une idée à un endroit donné peut devenir plus ou moins politiquement acceptable. Les degrés d'acceptation des idées publiques sont à peu près comme suit :

  • Impensable
  • Radicale
  • Acceptable
  • Raisonnable
  • Populaire
  • Politique publique

Les partisans de politiques en dehors de la fenêtre d'Overton cherchent à persuader ou éduquer l'opinion publique afin de déplacer et/ou d'élargir la fenêtre.
Comme cela fonctionne-t-il ?
Le tribalisme, que les politiciens malgaches ont depuis toujours brandis comme un épouvantail afin de garder ou conquérir le pouvoir, est une parfaite illustration de la fenêtre d’Overton.

  1. De l’impensable au radical : l’ethnocentrisme ou, plus communément, tribalisme est un mot que personne au monde n’ose prononcer sur la place publique. Pour faire changer l’opinion publique, on commence par parler de quotas avec forces raisonnement historique : des régions manquent d’élite car elles sont en retard en matière de scolarisation par rapport aux Hautes Terres. Pour rétablir l’équilibre donc, on doit établir un quota régional lors des examens et des recrutements. C’est ainsi que des ministres sont devenus inamovibles en raison des quotas. La démocratie flirte ici avec la médiocratie, mais au moins, le régionalisme passe de l’impensable au radical.
  2. Du radical à l’acceptable : ceux qui s’y opposent sont traités d’opposants à l’unité nationale. Les connotations négatives associées au « régionalisme » sont donc adoucies et l’idée, acceptée, intègre progressivement le débat public.
  3. De l’acceptable au raisonnable : de régionalisme, on passe aux Provinces autonomes, condition sine qua non d’un développement harmonieux. Sauf que derrière ce beau discours se cache des velléités de partages du pouvoir, loin des yeux du pouvoir central, et à défaut de pouvoir conquérir le pouvoir par les urnes.
  4.  Du raisonnable au populaire : Il s’agit d’intégrer l’idée à la mentalité populaire. Un Chef d’Etat originaire des Hautes Terres, le Général Gabriel Ramanantsoa, par exemple, est considéré comme le fossoyeur de la Décentralisation, tandis que des politiciens ne cessent de matraquer : « laissez les enfants des régions développer leurs propres régions ». Ici, on évite de parler de tribus, bien entendu, même si l’intention n’est pas loin. On note, par exemple, le presque pogrom des originaires des Hautes Terres en 1972, 1991 et 2002.
  5. Du populaire à la politique publique : une fois ancrée dans la mentalité d’une frange de la population facilement manipulable, on passe à une représentation politique : le Fédéralisme. Heureusement que jusqu’ici, cette idéologique n’a séduit que 0,89% des gens (soit 40.253 électeurs) en 2013 et 0,98% (soit 48.705 électeurs) en 2018. C’est le poids électoral du Fédéralisme à Madagascar. Est-ce suffisant pour proposer une Constitution concurrente à la République unitaire que nous a laissé en héritage nos ancêtres, originaires des quatre coins de Madagascar, qui se sont réunis au lycée Andohalo en octobre 1958 ?

La dichotomie s’est portée jusqu’alors entre Hautes Terres et Côtes. Maintenant, avec la diatribe de Jocelyne Maxime, la dissension se passe désormais entre côtiers mêmes.
Ceci dit, la fenêtre d’Overton est mouvante. Une idée jugée radicale ou extrême peut devenir plus ou moins politiquement acceptable au fil du temps, et inversement. Elle peut être utilisée pour favoriser des idées impopulaires en introduisant dans le débat des concepts bien plus radicaux qui font pâlir l'impopularité de ceux que l'on défend en réalité. C’est ainsi que la fenêtre d’Overton a permis, ailleurs, de rendre acceptable d’un côté le wokisme avec l’IVG ou encore le mariage pour tous. Mais il y aussi les différentes théories des extrémistes de droite comme l’anti-immigration et l’islamophobie…

Sinon, des idées semblables à la fenêtre d’Overton ont été déjà exprimées auparavant à travers l’histoire. Ainsi, en 1857, le chef abolitionniste américain Frederick Douglas a décrit comment l'opinion publique limite la capacité des personnes au pouvoir d'agir en toute impunité : « Trouvez simplement ce qu'un peuple est prêt à subir en silence, cela vous donnera la mesure exacte de l'injustice et du mal qui lui seront imposés, et cela continuera jusqu'à ce que se manifeste une résistance par les mots ou la violence, ou les deux. Les limites des tyrans sont fixées par l'endurance de ceux qu'ils oppriment. »

Enfin, les médias et les réseaux sociaux ont une influence directe sur la mobilité de la fenêtre d’Overton en raison de l’exposition qu’ils donnent aux opinions et en introduisant dans le débat des concepts impopulaires et radicaux qui peuvent ainsi rejoindre la fenêtre des idées acceptables.
Sachez simplement qu’il en est de la fenêtre d’Overton comme du tribalisme : un feu facile à allumer, mais difficile à éteindre.