Avec ou sans l’État, Betsimitatatra disparaîtra sous la pression démographique
« Cité des imbéciles ». C’est ainsi que les habitants des cités légales (67 ha et Ambodinisotry) qualifient les constructions illicites qui poussent comme des mauvaises herbes dans le Betsimitatatra, Anjezika, Ampasika, Antohomadinika Andrefana… Ces cités « sauvages » ne demandent pourtant qu’une place au soleil de l’urbanisation. Constat.
« La famine est mon ennemi », se disait Andrianampoinimerina, regardant vers l’Ouest, du haut de la colline d’Analamanga, après la conquête de la ville des mille. Il ordonna alors de reprendre l’aménagement de la plaine du Betsimitatatra que ses prédécesseurs ont déjà entamé. La métamorphose des lieux lui inspira une autre maxime célèbre : « La mer sera la limite de mes rizières ».
Deux siècles plus tard, sa philosophie, que certains historiens autodidactes se plaisent pourtant à vénérer, demeure mal comprise. « Il ne faut pas toucher aux marécages de Betsimitatatra. Ils servent d’éponges pour Tana, évitant ainsi à la ville d’être inondée à chaque saison de pluies », recommandent certains théoriciens qui, s’ils devaient conseiller les rois, les auraient probablement dissuadés de toucher au Betsimitatatra. Comme certains intellectuels Merina qui, au lieu de faire de la mer la limite de leurs rizières, se replient dans un tribalisme à l’envers, hurlant avec les loups de la politique qui brandissent régulièrement le spectre de la division pour un strapontin.
Mais tout ceci nous éloigne de l’urbanisation. Une étude sérieuse, financée par le non moins sérieux Pnud, a été effectuée en 1985 dans le cadre du « Développement urbain du grand Antananarivo ». La plupart des urbanistes continuent d’y prêter foi. L’étude juge une extension de la capitale vers le Betsimitatatra comme « utopique et dangereux ». Selon elle, « Ce principe se fonde sur deux raisons. La première est le coût beaucoup trop élevé de l’urbanisation en plaine. Le second est le danger de rupture d’un équilibre social et écologique. La disparition des rizières provoquerait en effet la disparition des revenus d’appoint tirés de la production agricole par les populations pauvres, et la destruction du système de drainage à l’échelle de la plane et de ses quartiers ; ainsi, l’obstruction d’une partie du marais Masay empêcherait le drainage des ensembles Nord-Est et Nord, et le grignotage des rizières au fond des vallées entraînerait la destruction d’un régulateur naturel de l’assainissement ».
On aimerait bien voir le Pnud financer une nouvelle étude car vingt ans plus tard, toute cette théorie tombe à l’eau. Le coût élevé de l’élevage des vaches laitières vazaha n’a pas empêché notre cher président de les importer. A moins de dire qu’il est complètement à côté de la plaque. Les soi-disant revenus d’appoints demeurent-ils une réalité ? Il est permis d’en douter quand on sait le rendement squelettique des rizières d’Andohatapenaka et d’Ampasika où la population se noie dans la misère du secteur informel. Quant à « la destruction du régulateur naturel », il a été invalidé par l’aménagement du marais Masay, justement. Après tout, à quoi sert-il d’envoyer des ingénieurs faire des études partout dans le monde si ce n’est pour trouver une solution à ce problème afin que Tana ne s’inclinera plus devant la nature ?
Avec ou sans l’approbation des urbanistes, le Betsimitatatra disparaîtra sous la pression démographique. « Les populations pauvres » qui l’occupent ne résisteront pas longtemps aux offres d’achat des investisseurs industriels qui finiront par remblayer petit à petit la zone. Interdire n’empêchera pas le cours des choses. L’Etat doit donc intervenir pendant qu’il est encore temps en imposant une réglementation stricte, notamment concernant la canalisation et les équipements sociaux (écoles, infrastructures sanitaires, moyens de communication…) Ceci lui permettra de limiter ses dépenses tout en évitant que les remblaiements ne se fassent d’une manière sauvage. Construire d’autres 67 ha à l’ouest et élargir le quartier administratif d’Ampefiloha vers Anosibe pour regrouper les ministères dispersés en centre-ville. Des logements sociaux aux loyers modérés permettront de « vider » les ghettos (Andranomanalina, Isotry, Antohomadinika…) qui pourront ainsi être ainsi rasés dans une optique de réaménagement. Et si on se donne rendez-vous dans dix ans ?