Sweepstake et bookmakers
« Salut, me voilà revenu
Dans ce bon vieux saloon
Ah, ah ah, ah ah ah !
Donnez-moi vite deux grands verres de bière
Pour moi et mon cheval
Ah, ah ah, ah ah ! »
Pendant au moins trois décennies, les ondes de la radio nationale malgache résonnaient de cette chanson sans que personne ne sache vraiment qui en est l’auteur. Il s’agit du Belge Robert Cogoi, le titre est « Une bière pour mon cheval » et c’est le jingle de pub du Sweepstake de Madagascar, les courses de chevaux qui faisaient fureur depuis les années ’60 jusqu’au début des années 80.
Le lot était généralement de 20.000 ar à 50.000 ar. Mais la tirelire peut grimper jusqu’aux millions de fmg. On raconte que le studio photo Hova a pu rénover ses matériels grâce à un jackpot équivalent à vingt mois de salaires d’un prof de lycée.
Les parieurs achetaient les billets à Analakely, sous les Arcades, à Andravoahangy, à côté du marché de Besarety ou encore à Mahamasina devant le stade où ont lieu les courses. On présente les billets à l’entrée pour que l’on poinçonne les numéros choisis. Un billet coûte 110 fmg à une époque où la cigarette Mélia Bleu s’achetait 4 ar les cinq tiges et un ariary permet d’avoir quatre bonbons Pecto, bientôt réduit à trois, ou deux biscuits Baby Marie.
Mahamasina constituait un pâturage pour les chevaux des autorités à l’époque de la royauté. Il était donc naturel que le Gouverneur Général Galliéni y inaugure un hippodrome en 1903. Auparavant, l’endroit accueillait déjà des courses, mais de cyclisme. Sinon, les courses de chevaux se tenaient jusque-là Androhibe, lors des Foires agricoles.
C’est la société d'encouragement de Tananarive (SET), appelé également société pour l’amélioration de la race chevaline à Madagascar, créée en 1902, qui organise les courses de Mahamasina, en rivalité avec Sport Club de Tananarive qui organise le sien dans l’arène d’Antsahavola.
A partir de 1920 a lieu le Grand Prix de la République tous les 14 juillet. Il y avait aussi le Grand Prix du Haras destiné aux étalons. Le premier prix Sweepstake est organisé en 1956. C’est le cheval dénommé Narcisse Bleu qui a gagné la course. En 1965, le Sweepstake est couplé avec la Loterie nationale et devient populaire dans tout Madagascar.
Sous la houlette du Cergentriam, Cercle des Gentlemen’s Riders de Madagascar, dirigée par Ravoalavoson, des courses sont ainsi organisées en provinces : à Diego-Suarez (Ramena et Andrakaka), Vohipeno, Fort-Dauphin, Nosy-Be…
A Antsirabe, l’Association Hippique du Vakinankaratra (AHV) organise les courses à l’hippodrome des Thuyas, communément appelé Piste. A Ambatolampy, en dehors de la Fête des mimosas, le courses se tiennent le dimanche à Mahazina avec la participation de la jument Fanorona qui a mis bas Pie fanorona et Tsarafaniry. Sans oublier Alibaba, Saraco, Vorombola et Rolls Royce...
A Tamatave, les courses se déroulent à Barikadimy. A Fandriana, c’est à Andranomena où le cheval le plus connu s’appelait Taipitatra. A Ambositra, entre deux courses de bourriques, la Société hippique d’Ambositra, dirigée par le maire Rakotoarisoa, aligne des chevaux à l’hippodrome d’Ankorombe dont les favoris sont Penelope et Hirondelle. L’histoire a retenu les jockeys Ramarisely, Lemboa, Ramarovahoaka et Ravolonampondra.
A Mahamasina, les courses se passent sur une piste sablonneuse, parfois parsemée de balles de riz, d’environ 4,5m de large. Les chevaux partent devant la tribune centrale et font le tour du stade. Les courses ne se déroulent pas toujours de manière réglo. Certains jockeys font obstructions aux favoris en les coinçant entre eux ou en les cravachant par derrière. Après une course, les noms d’oiseaux volent et les réclamations ne sont pas rares.
Les entraînements (jeudi) autant que les courses elles-mêmes (samedi) se passent toujours devant un public de curieux et de connaisseurs. L'ambiance est surtout le fait des bookmakers. Il s’agit d’un groupement informel de parieurs qui sont présents à tous les événements de Tana : course de chevaux bien sûr, mais aussi football, rugby et même athlétisme quand ils n’ont rien à se mettre sous la dent. Ils se mettent au milieu de la pelouse, crient, vocifèrent et donnent des surnoms aux protagonistes : Rabilabila, Rafil de fer, Menavolo, Baovola…
Parlons justement de Baovola. Le public se souvient surtout du footballeur de l’AS Saint-Michel, Augustin Andriamiharinosy, devenu le premier footballeur professionnel malgache en France (Angoulême). Mais savez-vous qu’il tient son surnom d’un cheval de course légendaire, particulièrement véloce, de Mahamasina ?
Parmi les autres légendes, citons Orimbatofaniry, également appelé Bemainty, vainqueur du Grand Prix Sweepstake 1979. De par son caractère, seul un jockey, Anselme, arrive à le dompter. Tous les chevaux entrent par un petit portail. Orimbatofaniry entre par la grande porte, tiré par des cordes des deux côtés après avoir créé le vide sur son chemin, depuis le haras. Lors de l'échauffement dans le paddock, Bemainty est isolé des autres car il donne des coups de pied. Sa nervosité crée une forte sudation qui blanchit ses aisselles. On ne retire les cordes qu’une fois entré sur la piste. Et encore, on le place quelques mètres après tous les autres chevaux, de peur qu'ils ne ruent. Mais dès qu’il s’élance, c’est la folie ! Arrivé au niveau de la maison de Rasolo, le gardien de Mahamasina, il se place déjà à la 3ème ou 4ème place et lorsqu’il atteint la ligne droite, Anselme pousse si fort qu’il finit toujours par être en tête. Orimbatofaniry se calme aussitôt quand il sait qu’il a fini premier de la course.
Richevola, à la robe bai et monté par Pierre Jerôme, fait partie des rares chevaux capables de damer le pion à Orimbatofaniry.
Mais les légendes ne sont toujours constituées de moments de gloire. Il y avait aussi des moments tristes. Au début des années 60, Soafaniry s’est empalé sur un grillage défectueux au niveau de l’entrée du gymnase couvert de Mahamasina. Une barre métallique s’est enfoncée dans sa poitrine. Une mare de sang se déverse dans la rue. Tout le monde accourt pour voir. Les collégiens de l’école Sainte-Famille, choqués, interrompent même leur match de volley-ball. Il ne mourra pas instantanément car le fer n’a pas dû atteindre le cœur. On disait qu’on a abrégé ses souffrances par une balle en pleine tête. Soafaniry aura l’honneur d’une veillée mortuaire à Mahamasina pendant quelques jours.
Parmi les autres chevaux que l’histoire a retenus, citons pêle-mêle Goyachka, vainqueur du Grand Prix Sweepstake 1969, Glouglou, un cheval réputé aussi pour sa nervosité, Miarimbola qui ne suit jamais le droit chemin, Piper Navajo, baptisé du nom de cet avion en vogue dans les années 60 en raison de sa vitesse, Ringo Star, reconnaissable à sa couverture en rouge et noir, Love Love, un cheval blanc, et le tocard Israël. Mais il y avait également Diamondra, Mistral, Ouragan, L’intouchable, Etincelle, Gelinotte, Starling, Sublime, El Rancho, Nemrod, Mimi La Rousse, Nijinsky, Oxford, Tamara, Royal Fox, Peledrove, Satellite, Taras Bulba, Toscana, Prince Jim, Lord Jim, Saburo, Oasis Faniry, Venusca, Obélix…
Ils appartiennent à différentes écuries dont les plus réputées sont Carrousel, la Jumenterie de Bagatelle et Golden Star de Michelson Rakotoarisoa dont les pensionnaires sont, entre autres, Baovola, Iabavola, Landivola, Jolie Star, le géant Madrigal, Italia, Lakme, Voahirana, Anita et Sayonara …
On ne peut faire l’inventaire des acteurs de l’hippisme sans citer les jockeys. A tout seigneur, tout honneur, Randrianjafy dont la renommée résonnait jusqu’à Tamatave. Sans oublier Ranary, Mamonjisoa, Rakotonindrainy, Johnston, Eddy Marcel, Bazaza et Rakotondrasoa Élie Jean…
Avant et après les courses, les badauds se mettent à suivre à pied le défilé des chevaux à Soanierana, Ankadimbahoaka, Tanjombato…
L’âge d’or de l’hippisme se termine vers la fin des années 90 lorsque les courses de chevaux sont déplacées à Bevalala. Le public ne suit pas. Les parieurs aussi. L’élevage des chevaux, assez onéreux, n’est plus rentable pour les propriétaires. Certains canassons finissent dans les attelages de carrosse urbaine.
L’Autorité hippique de la course et de l'élevage des chevaux (AHCEL) continue, vaille que vaille, d’entretenir le flambeau. Une École des courses hippiques et de l'élevage (ECHEL) a même ouvert ses portes à Ambatolampy en partenariat avec les Mauriciens du People’s Turf Plc et le magnat des jeux Jean-Michel Lee Shim.
A Antsirabe, la Piste, après avoir été l’objet d’un projet de réhabilitation en 2008, a laissé place à des bâtiments administratifs. Malgré tout, l’AHCEL organise toujours des courses, notamment à Ambatolampy, là où s’est établi un ancien vendeur de ticket sous les
Aracades, près de la Potinière, devenu médecin. La boucle est bouclée.
Une course à l’hippodrome des Thuyas, à Antsirabe en 2000.
©Mamy Tiana Raberahona.