La cogestion n’aura pas lieu
Tout a bien commencé avec les trois coups d’usage pour attirer l’attention du public : nettoyage au Kärcher d’Antananarivo, accueil en grandes pompes - avec tapis rouge déglingué retransmis en direct où l’on est gentiment invité d’aller se faire voir chez les Grecs, et signatures d’accords préalablement arrangés. Puis vint le lever de rideau
Acte 1. La Résolution de l’ONU
En 1979, une résolution des Nations Unies "invite le Gouvernement français à entamer sans plus tarder des négociations avec le Gouvernement malgache en vue de la réintégration des îles précitées, qui ont été séparées arbitrairement de Madagascar". Cela ne souffre d’aucune interprétation : les Iles éparses appartiennent bel et bien à Madagascar. Le décret français de 1960, qui a séparé "arbitrairement" les Iles éparses de Madagascar, ne peut être opposable ni à Madagascar, un Etat indépendant, ni à la Résolution des Nations Unies qui "réaffirme la nécessité de respecter scrupuleusement l’unité nationale et l’intégrité territoriale d’un territoire colonial au moment de son accession à l’indépendance”. L’Onu demande donc à la France" de rapporter les mesures portant atteinte à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de Madagascar et de s’abstenir d’en prendre d’autres qui auraient le même effet et pourraient affecter la recherche d’une solution juste au présent différend“. Autrement dit, le débat sur la licéité de la souveraineté française sur ces îles n’a plus lieu.
Le hic est que la résolution de l’Onu n’est pas contraignante. « Ici, c’est la France », continuait alors de dire Emmanuel Macron en visitant les îles Glorieuses en octobre 2019. C’est pour dire que la France ne va pas lâcher facilement ces Iles. Il y a une raison économique : les îles éparses recèlent 3 à 5 milliards de m3 de gaz et 6 à 12 milliards de barils de pétrole. Il y a aussi une raison stratégique : les îles éparses se trouvent dans le canal de Mozambique qui voit passer 30% du trafic mondial des pétroliers, sans parler des porte-conteneurs. Enfin, il y a une raison géopolitique : les îles éparses - Glorieuses, Juan de Nova, Europa, et Bassas da India qui représentent 630.000 km2 des zones économiques exclusives de la France, la deuxième plus vaste du monde. Lâcher les Iles éparses équivaut donc pour la France à s’amputer d’une grande partie de sa superficie. D’autre part, de par leur position, la France contrôle plus de la moitié de la surface du canal du Mozambique
Acte 2. Les demandes incessantes de Andry Rajoelina.
Sous l'impulsion d'Emmanuel Macron et de Andry Rajoelina, une commission mixte de dialogue s'était réunie pour la première fois en novembre 2019 en vue de trouver un accord avant le 26 juin 2020, le 60e anniversaire de l’indépendance de Madagascar, mais cela s’est terminé en queue de boudin. Une deuxième rencontre était prévue les 2 et 3 novembre 2022 à Paris mais elle n’aura jamais lieu.
Andry Rajoelina prend alors son bâton de pèlerin et demande la restitution des îles éparses urbi et orbi. En mai 2019 lors d’une rencontre avec Emmanuel Macron. En 2022 à la tribune de l’Onu, lors de la 77e session de l’Assemblée générale. En octobre 2024 à Paris, dans une interview accordée au « Figaro » lors du XIXe Sommet de la Francophonie, Andry Rajoelina a notamment déclarée : « pour ces îles, on aimerait avoir une issue heureuse, comme ça a été le cas pour l’Archipel des Chagos restitué à Maurice par le Royaume-Uni… Nous souhaitons donc, nous aussi, une restitution, mais dans un cadre concerté ». Une déclaration vite reprise par l’agence de presse russe TASS et relayée par l’Agence d’Information du Burkina. Les Russes et ses satellites africains étant trop heureux d’épingler la France qui condamne l’annexion de la Crimée par la Russie tout en refusant la restitution des îles éparses.
Bref, Andry Rajoelina est absolument pour la restitution des îles éparses. Tout comme les Comoriens qui s’accrochent mordicus à la restitution de Mayotte qu’ils considèrent sienne.
Devant l’insistance d’Emmanuel Macron d’inclure Mayotte comme membre de La Commission de l’Océan Indien (COI), Azali Assoumani, président des îles Comores a répondu, non sans humour, « mon cher frère Emmanuel Macron, j’ai un professeur qui s’appelle Louis de Funès qui m’a appris qu’il ne faut pas répondre aux provocations. Mais je dois rappeler ici mes chers frères, puisque nous parlons de droit, je tiens également à rappeler que l’ADN de la COI, c’est le respect du droit international. Ainsi, en vertu du droit international, l’île de Mayotte est une île comorienne, nos pays en sont les témoins, et à plusieurs raisons la France qui est membre permanent du conseil de sécurité des Nations unies. C’est pourquoi avec les présidents français, y compris mon frère Macron, nous nous sommes attelés à un dialogue franc, sincère et responsable pour aboutir à une solution moralement acceptable et juridiquement valable pour la résolution de ce différend territoire qui nous oppose ».
Les Comores montrent ici qu’ils ont des cojones. Sur ce point, pour la petite histoire, ils dépassent Madagascar depuis toujours. Le reste est littérature.
Acte 3. La cogestion selon Emmanuel Macron
Rebondissement. En marge du sommet de la COI, Emmanuel Macron a opposé un non catégorique concernant la restitution des île éparses. Au micro de la journaliste Gaëlle Borgia, il prône plutôt la cogestion. « D’abord ce que nous avons décidé de faire avec le président Rajoelina, c’est cette commission mixte - ce qui est inédite, et de dire justement, y a des avis internationaux, tout ça a été fait on sait, plutôt que de rester dans la confrontation de points de vue, et bien nous allons nous concerter pour prendre de grandes décisions sur les îles éparses. Et donc on a mis en place cette commission, elle va d’ailleurs se réunir, on a pris la décision ensemble, le 30 juin à Paris. Et en quelque sorte, on la gère ensemble en bonne intelligence. C’est comme ça je crois qu’il faut faire. Donc, ces îles éparses, elles ne doivent absolument pas faire l’objets de différends entre Madagascar et la France. On a tellement de défis. Aider un pays qui a 80% de sa population sous le seuil de pauvreté à réussir, c’est beaucoup plus important que de revenir dans ces débats qui sont picrocholins ».
Picrocholin. Le mot est lâché. Du point de vue d’Emmanuel Macron donc, le problème des îles éparses est insignifiant, aux motifs tout aussi futiles qu’obscurs.
Le mot vient de la guerre opposant Picrochole à Grandgousier dans le roman « Gargantua » (1534) de Rabelais suite à un différend autour de fouaces (des galettes). Battu, Picrochole s'enfuit à dos d'âne. Pour Emmanuel Grandgousier Macron, Madagascar serait-il donc Picrochole qui lui cherche noises pour un motif futile et qu’il envoie balader à coups de pied de l’âne afin de rendre blanc comme nègre son protégé, Gargantua, avec son appétit insatiable de pouvoir et ses besoins de plaisirs humains à l’excès ?
Emmanuel Macron affirme qu’il a pris l’initiative de la cogestion avec Andry Rajoelina. Ce dernier a donc mis au placard son petit bâton de pèlerin pour épouser l’idée de la France. Pour quelle raison ?
En tout cas, Emmanuel Macron a découvert la faiblesse de Madagascar tel « l'homme qui découvre la faiblesse d'une femme (…) le chasseur à midi qui découvre une source et s'en abreuve », comme disait Jean Giraudoux. Avec diplomatie bien évidemment, cet art de vous indiquer le mauvais chemin d’une voix si douce que vous vous empressez d’y aller. C’est d’autant plus facile lorsqu’on a en face un Rastignac resté Candide et atteint d’un syndrome de Peter Pan qui ne sait même pas de quoi ça retourne. « Vous nous ennuyez avec votre jeunesse ». Jean Giraudoux, toujours. Sur ce dossier, Emmanuel Macron semble parfaitement maîtriser l’art de la négociation qui consiste à partager un gâteau de manière à ce que chacun reparte persuadé d’avoir eu la plus grande part.
« La guerre de Troie n’aura pas lieu ». Jean Giraudoux, encore lui. La cogestion aussi, dirait Fernandel. Pour récupérer Hélène (les îles sous emprise française) enlevée par Pâris, la guerre n’aura pas lieu, faute d’équilibre de la terreur. Et alors ? Et alors ? diraient les petits enfants guettant l’arrivée du beau Zorro. Manifestement, ça ne se presse pas.
La raison est toute simple : en France, contrairement à Madagascar, la parole d’un président ne vaut pas loi. Une cogestion doit être adopté par le Parlement français. Sauf que les députés et sénateurs français ne sont jamais chauds pour abandonner des « souverainetés » françaises. Il existe un précédent qu’Emmanuel Macron connaît pertinemment.
En 2010, sous le mandat de Nicolas Sarkozy, un accord était signé entre le gouvernement français et celui de l’île Maurice sur la cogestion de l’île Tromelin, là où en 1761, 80 Malgaches firent naufrages at abandonnés. Quinze ans plus tard, des sauveteurs ne trouvèrent que sept survivantes, dont une femme appelée Tsimiavo, et un bébé de huit mois.
Adopté au Sénat en 2012, puis en commission à l’Assemblée au printemps 2013, le texte de la cogestion avait été retiré de l’ordre du jour de la séance publique en 2013, et n’avait jusqu’alors jamais été réinscrit. En 2017, divers partis, notamment l’UDI, le RN, le PS et le FN, et des organisations tel que le Medef - dont une lourde délégation a accompagné Emmanuel Macron lors du sommet de la COI, avaient manifesté leur opposition à ce texte. Une pétition a alors recueilli plus de 11.000 soutiens en quelques jours. « Les patriotes ont fait reculer le gouvernement ! » sur un accord « funeste », s’est alors félicité le FN.
La pétition parle notamment d’un effet domino : « si nous cédons pour Tromelin, ce sera ensuite les îles Eparses avec Madagascar, La Passion-Clipperton avec le Mexique puis les Terres Australes. Nous ne pouvons brader ainsi notre domaine maritime, le deuxième au monde avec 11 millions de km² ; nous devons le valoriser et mettre en place une vraie politique maritime. Et cela doit passer par la défense de notre souveraineté sur l’ensemble de nos territoires ultra-marins ».
Il y aura donc d’autres actes en prolongement de cette pièce théâtrale où la tartufferie se la dispute avec le quichottesque.
En attendant, les actualités font état de projets de vente de différentes petites îles autour de Madagascar, telles Mitsio et Sakatia. Là, on a fait fort : ils ont réussi à vendre les îles éparses bien avant même d’en reprendre possession.
Durant le sommet de la COI, pendant que Andry Rajoelina était sur scène, le délestage s’est invité dans la salle de réunion, ce théâtre où tout le monde parle, alors que personne n'écoute vraiment et que rien ne change après. Tout un symbole. Rideau ! Ou pas.