Ailleurs, l’information aurait fait l’effet d’une bombe. Et pour cause, on a affaire ici à de potentiels terroristes. Mais ici, on est à Madagascar. Et les autorités malgaches n’ont voulu communiquer dessus même après sa révélation par le journal « Le Monde ». Il s’agit de l’arrestation de trois individus liés au mouvement Etat Islamique/Daech en juillet 2024 : Maher A. et Hassan A., d’origine syrienne et un Irakien. Partis de la Turquie, ils ont transité par le Soudan et la Côte d’Ivoire avant de rallier Madagascar. Ils seraient soupçonnés de vouloir participer à un projet d’attentat contre les Jeux olympiques de Paris.
Ce n’est pas la première fois que des islamistes radicaux sont signalés à Madagascar. Le 30 janvier 2007, le beau-frère d’Oussama Ben Laden, Jamal Khalifa, à qui le chef d’Al Qaida a « offert » sa sœur en signe d’affection pour un ami de dix ans, a été retrouvé assassiné à Sakaraha où il exploitait une mine de pierres précieuses. Selon son frère Malek Khalifa à la chaîne satellitaire arabe « Al-Arabiya », basée à Dubaï, Jamal Khalifa « a été tué de sang-froid en plein sommeil, quand une bande armée d'une trentaine de personnes a attaqué sa chambre ». De sources concordantes, beaucoup d’argent aurait été trouvé au domicile de Jamal Khalifa. On parle de 2 milliards d’ariary. Banal acte de banditisme ou action des services de renseignements ? Aucune enquête n’a été effectuée et les résultats de l’autopsie n’ont jamais été révélés.
Jamal Khalifa a rencontré le futur chef d’Al-Qaïda à l’université Roi Abdulaziz, à Djeddah, dans les années 70. « Nous étions ensemble pendant dix ans. A l’université et après. Nous avons vécu dans la même maison », a confié Jamal Khalifa dans un interview accordé à CNN, en novembre 2004. Jamal Khalifa et Oussama Ben Laden avaient en commun un enseignant, Abdullah Azzama, un religieux palestinien. Celui-ci les ont beaucoup influencé, au point de les décider à aller en Afghanistan après l’invasion de ce pays par l’Union Soviétique, en 1979. Jamal Khalifa reviendra sain et sauf de l’Afghanistan et passait son temps au Pakistan à fonder des organisations caritatives islamiques avant de créer un restaurant à Djeddah (Arabie Saoudite) et d’élargir ses activités à Madagascar.
A une époque où Al Qaida monopolisait les actualités, Didier Ratsiraka a révélé le passage d’un couple lié au mouvement à Madagascar sans donner plus d’information. C’était lors d’une de ces longues conférences de presse dont il a le secret. Plus tard, après les attentats des ambassades américains au Kenya et en Tanzanie, en août 1998, un des principaux suspects a fait l’objet d’une intense recherche internationale à Madagascar. C’était trois ans avant les attentats du 11-septembre aux Etats-Unis.
Actuellement, on sait que Madagascar est déjà confronté depuis un certain à des incursions d’islamistes radiaux depuis la province du Cabo Delgado, au Mozambique.
Pour en revenir aux membres de Daesh arrêtés à Antananarivo, Maher A. et Salim A., des trentenaires, sont originaires de Deir ez-Zor, en Syrie. Comme plusieurs membres de leur famille, ils rejoignent les rangs de l’organisation Etat islamique au début du Califat, en 2014. Face à l’offensive de la coalition internationale, ils fuient clandestinement Deir Ez-Zor, en 2016, pour la Turquie avec leur cousin Hassan A., qui a participé à la conquête de l’EI en Syrie.
D’Istanbul, les trois membres de la famille A. s’envolent pour le Soudan où ils sont identifiés comme d’anciens membres de l’EI et sont incarcérés pendant plus de trois. Durant leur détention, ils font la connaissance d’un Irakien, « Abou T. » qui a également rallié l’EI durant le Califat. A leur sortie de prison, fin 2022, les trois cousins syriens obtiennent frauduleusement des visas ivoiriens et s’installent à Abidjan, où ils travaillent un temps sur des chantiers de construction. « Abou T. », lui, met le cap sur Madagascar. Fin 2023, ce dernier leur parle d’une possible filière pour rallier la Turquie et l’Europe depuis la Grande Ile. Maher A. et Hassan A. s’envolent alors pour Antananarivo, sans Salim A., resté à Abidjan. A Antananarivo, « Abou T. » les accueille et leur présente un père et son fils, des Irakiens fraîchement arrivés : Mohamed W., la quarantaine, et Ahmad W., à peine majeur. Le premier, arrêté en 2016 en Irak pour ses liens présumés avec Daesh, y a été condamné à sept ans de prison. Une fois libéré, il est parti avec son fils en Turquie, où ils ont un temps vécu de contrebande de cigarettes et de thé, avant de s’envoler pour Madagascar avec de faux passeports syriens.
Le démantèlement du réseau s’est fait avec la coopération des services de renseignements américains et français. Depuis un certain temps, les utilisateurs des réseaux sociaux à Antananarivo signalent la présence de plusieurs dizaines d’individus, habillés « à la musulmane », qui vivent d’expédients.