24 août 2021. Il y a de l'électricité dans l'air à L'Etoile de Mer de Tuléar. Le HCDDED s'apprête à y rencontrer deux entités antagonistes. Ceux qui sont pour et ceux qui sont contre le projet Base Toliara. Pour éviter tout débordements, il a été décidé de les recevoir séparément. L'arbitrage s'annonce ardu.
Le projet Base Toliara est situé à Ranobe, à 45 km au nord de Toliara, sur une concession minière de 125,4km2. La société a obtenu son permis d’exploitation en 2009 et comptait procéder à la phase de construction d’infrastructures en 2020. La production, ilménite, zircon et rutile essentiellement, est prévue fin 2021. Toutefois, un groupe de personnes, constitué de politiciens, d'élus, de membres de la société civile, des enseignants chercheurs et des notables, s’est rapidement opposé au projet. Par ailleurs, l’Etat, dans le rapport du conseil des ministres du 6 novembre 2019, juge que les bénéfices au profit des communautés locales et du pays ne sont suffisamment pas clairs et décide de suspendre les travaux.
Le rendez-vous du HCDDED avec ceux qui s’opposent au projet Base Toliara s’est tenu dans la matinée. L’ambiance est tendue. Les invités affichent un air méfiant non seulement par rapport à l’équipe du HCDDED mais aussi sur son habilité à traiter l’affaire. Après d’amples explications sur les attributions du HCDDED et l’objet de la rencontre, les invités se livrent pour défendre leurs positions. Ils étaient une dizaine ce jour-là, tous des hommes : médecins, représentants d’associations de pêcheurs, militaire à la retraite….
Selon eux, la population, directement ou indirectement concernée, par le projet n’a jamais été consultée, contrairement à ce qui a été véhiculé par les partisans du projet. Sur ce point, le Colonel retraité Fanampera Rehosy, membre de l'association FIMA, évoque la corruption et hausse le ton : "Ceux qui ont signé le contrat avec la société ne sont même pas conscients du danger que le projet présente pour Toliara. Aveuglé par l’argent, ils se sont laissés corrompre et manipuler facilement. Pour nous, Toliara est un paradis et nous contestons fermement toute mauvaise intention de le nuire. Sur le plan administratif, le projet ne dispose ni de bail ni de cahier de charge".
Les dangers que constitueraient le projet, notamment sur l’aire protégée de Ranobe, sur les activités génératrices de revenus d’un grand nombre de population dont la pêche ou encore le tourisme, lesdites conséquences irréversibles de l’exploitation d’ilménite sur la santé publique, les risques d’exode rurale et urbaine, le déplacement des tombeaux qui se trouvent dans l’enceinte de Base Toliara… Tout cela a été détaillé pendant la rencontre qui a duré plus de deux heures. Convaincu des méfaits du projet Base Toliara, ce groupe de protestataires campe sur sa position et ne risque pas de changer d’avis.
Des théories non-fondées…
Le même jour, dans l'après-midi et au même endroit donc, le HCDDED a rencontré un groupe de partisans du projet Base Toliara. Cette fois-ci, ils étaient une trentaine, composé de femmes et d’hommes représentants : des politiciens, des notables, différentes associations dont celle des jeunes chômeurs, des élus locaux... L’échange était plus animé et l’assistance ne manquait pas d’applaudir chaque argument présenté. Ceux qui soutiennent le projet estiment bien évidemment que les raisons de la suspension du projet ne sont pas fondées. "La partie adverse a toujours soulevé les prétendues conséquences de l’exploitation de l’ilménite sur la santé mais n'a jamais pu le prouver. Si le projet a obtenu le permis minier et celui environnemental, c’est qu’il s’est conformé au code minier ainsi qu’aux diverses exigences des institutions compétentes aussi bien nationales qu’internationales. Donc si l’Etat veut vraiment le développement économique et social de la région d’Atsimo Andrefana, le projet Base Toliara en est la solution efficace", souligne Niny Augustine Zafindravola, présidente de l’association Ampela Misandratra.
L’une des raisons qui motivent vraiment le groupe partisan c’est l’emploi que pourrait engendrer ce projet. "C’est bien précis dans leur cahier de charge. Le projet peut créer jusqu’à plus de 4.000 emplois directs et indirects. C’est une aubaine pour la population de Toliara. La société assure les formations nécessaires et le renforcement de capacité. Et bien évidemment, nous suivons de près le recrutement, les natifs de Toliara devront être priorisés. Pour ce qui est du danger de la radioactivité sur la santé, ceux qui contestent le projet n’ont jamais pu apporter de preuve.", affirme Whega Danitsarke, originaire de Belalanda, épicentre du projet Base Toliara.
Parmi l'assistance se trouve Tsiangara Jean Espérant. Après avoir décroché un bacc technique, il a reçu une formation pour devenir conducteur d'engin au sein de Base Toliara. Mais depuis la fermeture du projet, il est au chômage et vit de petits boulots.
"Le fait que l’Etat ne prenne pas de décision ne fait que renforcer la division de la population de Toliara. On se demande si ce n’est pas l’objectif de ce silence", poursuit Niny Augustine Zafindravola.
Dans le cadre du développement économique, l’Etat fait appel aux investisseurs et s’engage à améliorer l’environnement des affaires. Une politique que certains observateurs de la vie économique ainsi qu’une partie importante de la population de Toliara estiment ne pas avoir été pris en compte dans la décision sur la suspension du projet Base Toliara. De leur côté, les contestataires du projet sont catégoriques et maintiennent leur position.
Ce face-à-face fratricide a un coût : près 30 millions de dollars de redevances et de taxe par an et une contribution de 227 millions de dollars annuel au PIB de Madagascar. Au bout du projet, en 2055, les caisses de l'Etat auront engrangé plus d'un milliard de dollars.
Lova Ralambomamy in « Demokrasia », n°11 (août – septembre – octobre 2021), pp. 11-12.