Etre en liberté ne veut pas dire être libre…
Madagascar perd 13 places dans le Classement sur la liberté de la presse 2025 publié par Reporters sans frontières (RSF) et se trouve au 113è rang sur 180 pays.
Pour mesurer la liberté de la presse, on a l’habitude d’évoquer le nombre de journalistes emprisonnés ou le nombre d’organes de presse fermés. Mais ce n’est pas tout. Sinon, il suffit de monter des dossiers pour mettre au cachot des journalistes gênants afin de pouvoir dire que ce n’est pas pour des raisons liées au métier qu’il est emprisonné car le délit de presse est dépénalisé à Madagascar depuis 2016. Et le tour est joué. Sauf que d’autres indicateurs entrent en jeu.
Parmi les cinq indicateurs qui composent le Classement mondial de la liberté de la presse - politique, législatif, social, sécuritaire et économique - l’indicateur relatif aux contraintes économiques pesant sur les médias et aux conditions financières du journalisme est le principal facteur qui tire vers le bas le score global des pays en 2025.
Selon RSF, en explication du classement : « les exactions physiques contre les journalistes sont l’aspect le plus visible des atteintes à la liberté de la presse, les pressions économiques, plus insidieuses, sont aussi une entrave majeure ». Ces pressions économiques entraînent « la fragilisation économique des médias, l’une des principales menaces pour la liberté de la presse ».
Quésaco ?
Les médias d’information fragilisés dans leur économie sont aspirés par la course à l’audience, au prix de la qualité, et peuvent devenir la proie des oligarques ou de décideurs publics qui les instrumentalisent.
1. Fragilisation des journalistes et des organes de presse
Quand les journalistes et/ou les organes de presse sont paupérisés, ils n’ont plus les moyens de résister aux adversaires de la presse que sont les chantres de la désinformation et de la propagande.
A Madagascar, il n’existe pas de barèmes concernant les rémunérations. Les salaires sont fixés à la tête du client et la possibilité économique de l’entreprise. Ainsi, un journaliste nanti d’un doctorat peut être moins payé qu’un autre qui n’a que le BEPC.
2. Concentration de la propriété.
La concentration de la propriété est un autre facteur de la dégradation du score économique dans le Classement de la liberté de la presse. Une concentration croissante restreint la diversité éditoriale, accroît les risques d’autocensure et pose de sérieuses questions sur l’indépendance réelle des rédactions vis-à-vis des intérêts économiques ou politiques de leurs actionnaires.
A Madagascar, de nombreux médias doivent leur viabilité à la mainmise économique sous conditions de personnalités politiques proches du pouvoir ou du monde des affaires, compromettant ainsi l’indépendance des rédactions.
Ceci débouche sur une infobésité, une surcharge informationnelle où le citoyen est submergé par une quantité excessive d’informations au point de nuire à sa capacité de compréhension et de prise de décision. Des médias hydres à mille têtes, combinant presse écrite, télévision, radio et online, sans oublier les comptes fake, le tout détenus par des individus qui n’ont que faire des normes, font circuler une information en continu où il devient difficile de distinguer le vrai du faux, l’utile et le superflu. L’information est abondante, mais elle émane de la même source et/ou du même prisme idéologique. Elle peut noyer les voix dissidentes et favoriser une certaine narration et créer une illusion de pluralité au détriment de la diversité d’opinions.
Face à un flux constant, le public peut devenir passif et moins capable d’analyser ou de remettre en question ce qu’il consomme. Les médias alternatifs, souvent à faibles moyens, ont du mal à se faire entendre dans ce vacarme informationnel contrôlé.
A la télévision particulièrement, le public reçoit un flot constant d’informations divertissantes, people, sportives ou anodines, mis peu de contenu réellement critique ou diversifié sur les affaires publiques ou la corruption. Cela affaiblit la fonction de contre-pouvoirs des médias et érode la démocratie.
3. Dépendance aux revenus publicitaires
Outre la dépendance éditoriale des rédactions par les propriétaires de médias, il y a aussi la dépendance aux revenus publicitaires. Cette situation accroît la pression sur les rédactions, poussées à l’autocensure par crainte de perdre ces financements.
A Madagascar, les gros annonceurs viennent essentiellement de quatre secteurs : opérateurs pétroliers, opérateurs téléphoniques, grandes surfaces et producteurs de boissons hygiéniques. Ce sont les intouchables. Les médias ne prendront jamais le risque de perdre une manne dont dépend leur stabilité financière.
Au Kenya (117e dans le classement RSF), pour prendre un exemple étranger, « The Nation » en a fait les frais : le journal a vu ses publicités retirées par l’opérateur Safaricom après avoir révélé le rôle de celui-ci dans la surveillance des communications de citoyens.
4.Restriction ou attribution opaque des annonces publiques.
Les budgets de communication de l’État sont répartis, non pas en raison de la popularité du média, mais suivant la tendance politique de l’organe.
A Madagascar, une presse écrite dont la diffusion est confidentielle peut bénéficier de petites annonces émanant de l’Etat parce qu’il est pro-régime qu’une autre à gros tirage, mais qui appartient à l’autre camp.
À l’aune de ces données mesurées par l’indicateur économique du Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF), un constat s’impose : les médias sont aujourd’hui pris en étau entre la garantie de leur indépendance et leur survie économique.
Mais il reste encore d’autres formes d’entrave à la liberté de la presse suivant les autres indicateurs.
- Difficulté d’accès aux informations publiques
La loi sur l’accès aux informations à caractère public (LAICP) est un serpent de mer depuis plus d’une décennie.
Dans la même lignée, on enregistre régulièrement des plaintes émanant de journalistes écartés des événements étatiques, qui ne sont pas conviés aux conf’presse, notamment à la Primature et à l’Assemblée nationale.
- Absence de régulation par une autorité légale
Le contrôle des cahiers de charges et l’accès équitable à l’antenne dans les médias publics, pour ne citer que ces exemples, sont biaisés en raison de l’absence de l’Autorité nationale de régulation de la communication médiatisée (ANRCM) qui, légalement, doit être déjà sur pied depuis 2001 !
Les différents classements publiés par des instances internationales obéissent à des normes scientifiques. Les autorités malgaches les contestent régulièrement. Ce déni est une tentative de manipulation de l’opinion et une infantilisation du public qui ne doit donc croire que ce que disent les grands et à passer sa vie à dire merci. Encore des raisons qui font perdre des points dans le classement.