Randy Donny, journaliste
C'est l'une des plumes les plus acérées dans le monde du journalisme. Il a régulièrement contribué pour Politikà et il a occupé le poste de rapporteur général du Haut Conseil pour la Défense de la Démocratie et de l'État de Droit (HCDDED). Randy Donny, nous offre un dernier tour d'horizon du monde du journalisme, de la liberté d'expression et la démocratie.
Lova Ralambomamy
Liva Ralambomamy : Ils font partie du paysage démocratique mais pouvez-vous rappeler aux lecteurs quels sont les rôles de la presse en général et des magazines ?
Randy Donny (R.D.) : La presse est un des piliers de la démocratie. Son rôle principal est d’informer les citoyens de manière objective et impartiale et elle permet au public de se faire une opinion sur les affaires nationales et internationales. En relayant les faits et en enquêtant sur des sujets d’intérêt public, la presse contribue à la transparence et à la bonne gouvernance. Elle est un outil essentiel de la liberté d’expression en permettant à différentes voix de s’exprimer. En dénonçant les abus et en mettant en lumière les injustices, elle agit comme un contre-pouvoir face aux dérives des autorités ou des grandes entreprises. Dans tout ceci, les magazines jouent un rôle clé car leur périodicité leur permet d’avoir plus de reculs et de sortir des articles beaucoup plus fouillés par rapport à la presse quotidienne qui ne démérite pas, mais dont les journalistes ont toujours le nez sur le guidon.
Dans tous les cas, ce n’est pas pour rien que la Presse est appelée le “Quatrième pouvoir”. Des présidents ont dû démissionner après des révélations dans la presse sur des cas de malversations, d’abus et autres mauvaises gouvernances. Rappelons-nous le cas du président américain Richard Nixon avec le scandale du Watergate, en 1974. C’était la presse. À Madagascar, des décisions gouvernementales ont dû être changées ou annulées en raison des critiques de la presse. Personnellement, je ne suis pas malheureux de constater que des articles de mon cru ont influencé des décisions. Je me souviens particulièrement de deux sujets.
Après l’incendie du Rova, on a rebâti en premier le palais Mahitsielafanjaka d’Andrianampoinimerina. J’étais présent à son inauguration. J’ai alors constaté que deux mains, entre autres aberrations, se trouvaient sur le toit dudit palais. “C’est la main de Fatima, cela fait partie de nos héritages culturelles”, me disait l’architecte. Ce qui ne m’a pas du tout convaincu. Je l’ai rapporté et le lendemain, on a remplacé les mains par les traditionnels tandrotrano, les longues perches qui prolongent les planches de rives, signe de notabilité.
L’autre sujet concerne Wikileaks en 2009. Dans les dossiers, j’ai trouvé qu’un politicien de renom se moquait du Président dont il était le chef de cabinet en le traitant d’enfant non immature auprès des chancellerie étrangères. En apprenant cela, le président en question l’a remercié ipso facto. Sinon, mes écrits, mais aussi mes actions sur le plan international, en tant que correspondant de Reporters sans frontières, ont permis de changer les cours des choses à plusieurs reprise, ne serait-ce que la libération des journalistes qui ont été arrêtés ainsi que le sauvetage d’émissions, voire des stations audiovisuelles, qui ont été menacées de fermetures.
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Quel est votre ressenti sur le recul de la liberté de la presse qui semble être si pressant?
R.D. : Je préfère évoquer la place de Madagascar dans le classement mondial de la liberté de la presse que Reporters sans frontières publie depuis 2002. Cette année-là, Madagascar était 66e sur 139 pays. Puis on a reculé dangereusement jusqu’à finir à la 134e place sur 175 pays dans le monde en 2009. C’était sous la Transition où la liberté de la presse était particulièrement malmenée. En 2010, une fermeture record de 80 stations audiovisuelles, en majorité des radios, sous prétexte d’assainissement avait été effectuée. En fait, c’était juste une censure généralisée pour faire taire les voix dissidentes. Résultat : en 2009, Madagascar était classé 134e sur 179 pays, le plus mauvais résultat que le pays n’ait jamais eu.
Sous l'administration suivante, le classement a redressé la tête, malgré des différends avec les journalistes concernant notamment le Code de la communication et l’arrestation de deux journalistes, Didier Ramanoelina et Jean-Luc Rahaga, en 2014, suite à la dénonciation d’une affaire de bois de rose. L’adoption de la loi portant Code de la Communication médiatisée en 2016 consacre la dépénalisation des délits de presse et place Madagascar au même niveau que les pays les plus avancés en matière de la liberté de la presse. Jusque-là, la prison était toujours brandie comme une épée de Damoclès au-dessus de chaque journaliste. Malheureusement, ce n’était que de courte durée car cette loi de 2016 va être modifiée, presque en catimini, par la loi 2020-006 du 1er septembre 2020 qui introduit de nouveaux articles lesquels ne sont pas toujours à l’avantage des journalistes. Au bout du compte, le classement de Madagascar n’a cessé de dégringoler jusqu’à perdre 41 places en 2022 pour se trouver à la 98e place sur 180 pays. D’autant plus que RSF a utilisé une nouvelle méthode pour réaliser son classement, s'appuyant sur cinq indicateurs : contexte politique, cadre législatif, contexte économique, contexte socioculturel et sécurité. Lors du dernier classement, en 2024, Madagascar était à la 100e place sur 180 pays. En 2024, Madagascar est classé à la 113è place, soit avec un recul de 13 places, tel qu’annoncé le 3 mai, consacrée journée mondiale de la liberté de la presse par l »ONU en 1993.
Ceci dit, j’aimerais souligner que je ne suis nullement l’auteur du classement de la liberté de la presse pour Madagascar. Il résulte de la compilation de plusieurs mois d’enquêtes sur plusieurs dizaines de personnalités issues de différents horizons, des journalistes bien évidemment, mais aussi des juristes et des membres de la société civile.
Pour vous, Madagascar s’achemine vers quelle tendance de trajectoire en termes de liberté de la presse ?
R.D. : Le classement de RSF pour une année donnée est basé sur ce qui s’est passé durant l’année précédente. Donc, en cas de classement médiocre, il est inutile de faire de grandes explications pour tenter d’influencer l’opinion ou même de se plaindre auprès de RSF. On récolte que ce que l’on sème. Ces deux dernières années, Madagascar est, vaille que vaille, sur une pente ascendante. Mais beaucoup restent à faire. Prenons quelques exemples.
En premier lieu, la loi de 2020 décharge le ministère de la Communication de l'octroi des licences au profit de l'Autorité nationale de régulation de la communication médiatisée (ANRCM). Sauf que, prévue pour être “mise en place dans les douze mois de la promulgation” de la loi 2020 (article 205 de ladite loi), l'ANRCM n'est toujours pas sortie de terre. Et c'est donc toujours le même ministère de la Communication qui gère et octroi les licences jusqu'à présent.
En second lieu, la loi 2020 dispose que “la couverture nationale est reconnue à tous les médias publics et privés sous réserve de leur basculement vers le mode de transmission par la télévision numérique terrestre (TNT)” (article 126). Sauf que la TNT relève du domaine du rêve à Madagascar. Donc, les médias publics demeurent les seuls autorisés à avoir une couverture nationale jusqu'à présent.
Troisièmement, la présence d'un représentant du ministère de la Communication au sein du Comité paritaire de délivrance des cartes professionnels n'a pas été modifié par la loi 2020. De plus, c'est le même ministère qui adoube les membres de la Commission paritaire et fixe son organisation et fonctionnement.
Enfin, la loi 2020 permet au ministère de la Communication de faire main basse sur l'Ordre des journalistes de Madagascar (OJM). Auparavant, ses membres étaient élus un à un, séparément, par poste : président, vice-président par provinces, secrétaire général, conseillers par provinces et trésorier. Désormais, selon l'article 55 de la loi 2020, “le président, les vice-présidents régionaux et les vice-présidents suppléants, ainsi que les conseillers et conseillers suppléants de l'Ordre des journalistes de Madagascar sont élus (...) au scrutin de liste bloquée sans panachage, ni vote préférentiel, ni liste incomplète”. Autrement dit, le candidat à la présidence de l'OJM doit trouver 23 vice-présidents régionaux, 23 vice-présidents suppléants, 23 conseillers régionaux et 23 conseillers régionaux suppléants et les inscrire sur une même liste bloquée que les électeurs journalistes doivent élire en même temps et non plus séparément, soit au total 92 personnes.
Résultat, lors de la dernière élection, il n'y avait qu'une seule liste pour la simple et bonne raison que les candidats-journalistes émanant du privé sont dans l'impossibilité de trouver 92 personnes à mettre sur leurs listes du fait que dans certaines régions, il n'y a que des journalistes de la télévision et radio nationale, autrement-dit des fonctionnaires relevant du ministère de la Communication, lesquels n'oseront pas faire concurrence avec le candidat “officiel”.
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Pourquoi la presse est indispensable à la bonne santé de la démocratie et quels sont les enjeux de l'accès à l'information. ?
R.D. : L’accès à une information libre et de qualité est essentiel pour la démocratie et le développement. Mais la presse doit s’adapter aux évolutions technologiques et économiques tout en défendant son indépendance et sa mission d’informer de manière impartiale et rigoureuse.
À Madagascar, la censure officielle n’existe plus depuis les années 90, mais les journalistes demeurent soumis à la plus sournoise des censures – l’autocensure – pour différentes raisons, principalement le règne du tout-puissant felaka, une corruption qui ne dit pas son nom et l’interdiction de dire du mal des annonceurs même s’ils sont impliqués dans des affaires louches…
Les journalistes doivent également faire attention à l’essor des réseaux sociaux qui rendent dangereux la frontière entre journalisme professionnel et fake news. Voilà pourquoi, dernièrement, j’ai mené une campagne pour rehausser la qualité de la presse malgache. Il s’agit du “Journalism Trust Initiative”. Nous connaissons tous les normes ISO qui sont un ensemble de normes internationalement reconnues pour assurer la qualité, la sécurité et l'efficacité des produits et services. Le “Journalism Trust Initiative” est aux organes de presse ce que les normes ISO sont aux autres entreprises : une norme internationale, un label, pour mettre en valeur et avantager un journalisme digne de confiance. Cette initiative est née d’un constat simple : le journalisme subit la concurrence directe de contenus manipulatoires qui prolifèrent dans l’espace digital comme les propagandes, les publicités, la désinformation... Cela s'est traduit au fil des ans par une érosion des audiences, une défiance vis-à-vis des médias, et une chute des revenus provenant de la publicité, d’abonnements et d’actes d’achat.
En cette ère d’internet, les algorithmes des géants du numérique privilégient souvent le sensationnalisme ou la viralité au détriment d’un journalisme de qualité. La certification JTI permet d’accroître la visibilité des sources fiables sur les plateformes. Les médias ayant répondu à cet exercice portant sur la transparence, la méthodologie journalistique et la mise en œuvre de principes éthiques, peuvent bénéficier d’une “favorisation algorithmique” auprès des plateformes, comme Microsoft ou Newsback, qui utilisent la JTI pour la mise en avant de sources d’informations fiables.
Malheureusement, la majorité des entreprises de médias malgache est entre les mains de politiciens et/ou businessmen plutôt intéressés d’utiliser la presse pour leurs bénéfices que d’un journalisme libre et de qualité, soucieux d’éthique et de transparence managériale. Ce qui a compliqué la campagne.
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Vous avez souvent contribué ou intervenu pour Politikà, quels sont vos ressentis par rapport à la fermeture du bureau de la FES ?
R.D. : La fermeture de l’agence de la Fondation Friedrich-Ebert à Madagascar est une grosse perte pour le journalisme malgache. À part la publication du magazine Politikà, excellent du reste, la fondation contribue aussi à tirer le journalisme malgache vers le haut à travers des formations. C’est un séisme pratiquement comparable à la fermeture de l’USAID (l' Agence des États-Unis pour le développement international). Ceci réduit en silence des voix libres à travers le monde qui dépendent de financements étrangers car privés de soutiens locaux pour cause de politiquement-correct. Le risque est d’ouvrir la porte à d’autres sources de financement susceptibles d’altérer la ligne éditoriale et l’indépendance de ces médias. Il importe donc de trouver rapidement des alternatives. Être informé fait partie des droits de l’homme, mais le monde des médias libres est assez fragile.