Changer de Constitution comme de chemise

La dernière tentation du moment : changer de Constitution. On sait pourquoi. On sait moins si enclencher la vitesse supérieure, passer de la IVè à la Vè République, conduira effectivement Madagascar sur l’autoroute du progrès.  

Image de couverture de Changer de Constitution comme de chemise
Les dispositions de la Constitution Andry Rajoelina en matière de révision.

Ne pas s’accrocher au pouvoir pour éviter une dérive monarchique

Changer la Constitution afin de rester le plus longtemps possible au pouvoir est caractéristique des régimes autocratiques en général et africains en particulier. Le plus curieux est que parfois, il s’agit d’une Constitution que l’on a fait voter soi-même. Une Constitution taillée sur mesure, mais qu’il faut changer comme on change de chemise car après quelques années d’exercice du pouvoir, on peut prendre de l’embonpoint, notamment en matière d’égo, lequel était déjà énorme au début du mandat.

La présidence est un service limité, pas une carrière à vie. Cet esprit démocratique est, de toute évidence, ignoré des présidents des pays en développement. Les exemples sont légion.

Parfois, ça passe. Macky Sall est devenu Président du Sénégal en avril 2012. Un referendum constitutionnel a eu lieu en mars 2016. Le Oui l’a remporté. Alassane Ouatarra est Président de la Côte d’Ivoire depuis 2010. Un referendum constitutionnel a eu lieu en octobre 2016. Le Oui l’a remporté à plus de 90%.

Parfois, ça casse. Patrice Talon est devenu Président du Bénin en avril 2016. Un projet de révision de la Constitution supporté par le Président a été bloqué par le Parlement béninois en avril. Ibrahima Boubacar Keïta est devenu Président du Mali en septembre 2013. Un référendum constitutionnel a été initialement programmé en juillet 2017, mais a été reporté sine die à la suite d’une forte opposition.

Cas d’école

Auparavant, en France comme aux Etats-Unis, il n’y avait pas de limites de mandats. Mais afin d’éviter une présidence trop longue et trop puissante, on s’est mis à limiter les mandats à deux. Depuis 2008 pour la France, accompagné d’un écourtement du mandat présidentiel, passant de 7 ans à 5 ans. Depuis 1951 pour les Etats-Unis.  

Le 22è amendement de la Constitution américaine est un cas d’école. A l’origine (1789), la Constitution américaine ne fixait pas de limite au nombre de mandats qu’un président peut exercer. Néanmoins, George Washington (1789-1797) a volontairement quitté le pouvoir après deux mandats, créant une tradition républicaine : ne pas s’accrocher au pouvoir pour éviter une dérive monarchique. Tous ses successeurs ont respecté cette tradition, sauf Franklin D. Roosevelt qui, en raison de la Grande Dépression puis de la Seconde Guerre mondiale a été élu quatre fois (1932 à 1944). Après sa mort pourtant, les Américains ont jugé dangereux qu’une seule personne puisse rester aussi longtemps à la tête de l’Exécutif. C’est pourquoi, ils ont décidé de limiter le mandat du président à deux fois, qu’ils soient consécutifs ou non, afin de prévenir une concentration du pouvoir, assurer l’alternance démocratique et permettre à de nouvelles idées et leaders d’émerger.

Certains pays contournent ce dispositif en jouant avec les mots. En Russie, par exemple, la Constitution limitait la durée à deux mandats consécutifs. Voilà pourquoi, Vladimir Poutine est devenu Premier ministre en 2008-2012 avant de revenir se présenter de nouveaux à la présidentielle. Puis, en 2020, il a changé la Constitution pour remettre les compteurs à zéro. Maintenant, il peut rester théoriquement jusqu’en 2036.  

Quid de Madagascar ? 

La Constitution Andry Rajoelina de 2010 limite la durée du mandat présidentiels à deux mandats de 5 ans. Constitutionnellement donc, Andry Rajoelina est en fin de parcours et doit passer la main. Il y a des tentations de réviser la Constitution, mais selon l’article 163 de ladite Constitution, “la durée et le nombre du mandat du Président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision”. S’il veut donc continuer, il n’y a qu’une solution : non pas réviser, mais changer carrément la Constitution, sa propre Constitution. Autrement dit, passer à la Vè République. Et faire comme Didier Ratsiraka, le prophète en son pays qui a annoncé l’avènement de Andry Rajoelina (bah, la fameuse prédiction “ankizy ankehitriny tompon’ny taona 2000” !). Bref, après avoir déjà effectué trois mandats de 7 ans (1975-1993), Didier Ratsiraka est revenu au pouvoir en 1997 à la suite du changement constitutionnel de 1992. On estime, en effet que les nouvelles dispositions constitutionnelles ne sont pas rétroactives.

Et dans cette nouvelle Constitution, il pourra inclure ce que bon lui semble. Pourquoi pas une suppression de la durée du mandat et du suffrage universel en faisant élire le Président de la République uniquement par le Parlement, comme au Togo ? Après tout, la meilleure façon d’éviter une tentation n’est-elle pas d’y succomber ? A l’aune des forces politiques en présence actuellement, un grand boulevard se dessine devant le régime orange. Qui a dit que les Malgaches sont différents des Africains ?

Les révisions constitutionnelles en Afrique. ©”Demokrasia”, n°003, mai 2019, pp. 17